Face aux difficultés des populations à s’approvisionner en eau potable, le Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne avait promis la fin du calvaire le 20 juillet dernier. Après moult mises en garde, ces familles qui ne voient plus le robinet cracher le liquide précieux ont manifesté pour réclamer un meilleur service. Pour elles, il n’y a ni retour à la normale ni amélioration dans les maisons.
Certaines localités de Dakar souffrent depuis quelque temps de la pénurie d’eau. Dans ces zones, les robinets sont à sec la plupart du temps. Les populations sont obligées parfois de rester éveillée pour s’approvisionner et avoir d’éventuelles réserves. Interpellé sur la rareté du liquide précieux, le Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne avait tenu à rassurer les personnes concernées. «Je voudrais demander aux populations vivant dans des zones difficiles de continuer à nous faire confiance, car notre seul raison d’être aux positions qui sont nôtres, c’est de travailler au bien-être de nos compatriotes. C’est ce que le Président Macky Sall nous rappelle quotidiennement. Le 20 juillet, la situation de déficit sera derrière nous», avait-assuré le chef du gouvernement. Des propos clairs, un délai exact, le 20 juillet 2018.
Neuf jours après, la réalité du terrain révèle que ce n’est pas encore la fin du calvaire. Loin de leur cours, les habitants de cette commune de la ville de Dakar regagnent le rond-point Case-Bi pour dénoncer ce problème. Hommes, femmes et enfants, armés de seaux et de bouteilles vides, ont exprimé leur ras-le-bol. Scandant des slogans qu’ils répètent depuis plusieurs mois : «Nous sommes fatigués. Nous voulons de l’eau. Nous avons soif.» Des mots vociférés par des bouches gagnées par la colère. «C’est inadmissible qu’on reste des mois sans la moindre goutte d’eau. Cette marche n’est que le début», menace Abdoulaye Diop, brassard rouge autour du poignet. Les yeux cachés derrière des lunettes scintillantes, le jeune homme incline sa bouteille, aucune goutte d’eau ne coule. Et il peste encore : «Vous avez vu. Ce n’est pas normal. C’est le summum de la souffrance.» Au fur et à mesure, d’autres manifestants regagnent la troupe. Ils ont en commun l’engagement et l’envie de changer le cours des choses.
Déterminée à protester contre ce phénomène, Aïda Niane arbore un ample maillot rouge qui flotte sous l’effet du vent. Dans cet espace où voix dissonantes, klaxons et vrombissements de moteur dictent leur loi, elle s’égosille : «Il est temps de se battre pour que ce problème d’eau soit résolu une bonne fois.» La frustration est la même chez Malick Kébé de la commission sur la problématique de la pénurie d’eau des Parcelles Assainies (Cope/Pa). «Cela fait six mois que Parcelles n’a pas d’eau. Pis encore, même le jour de la Korité, les Parcellois ont été privés d’eau», fustige-t-il. A côté de lui, une femme fait son show malgré l’importance de la question. Elle s’appelle Astou Ba. Toute de rouge, elle porte sur sa tête une bassine verte et un seau bleu. Elle y va de ses commentaires : «C’est comme si nous n’étions pas des Sénégalais. Le problème existe depuis longtemps. Si le président de la République et son ministre Mansour Faye sont incapables de le régler, ils n’ont qu’à démissionner.»
La quête continue
Devant l’impossibilité d’obtenir le liquide précieux dans leur foyer, les populations affectées par le problème migrent vers les zones qui ne sont pas touchées. A l’Unité 19 des Parcelles Assainies, devant un grand immeuble, bassines, seaux et bouteilles sont rangés. Le long tuyau branché au robinet du rez-de-chaussée va de réservoir en réservoir. Leurs propriétaires discutent en attendant d’être servis. L’un d’eux, Idrissa Diallo, une autre bouteille à la main, est au courant du délai avancé par le Premier ministre. Malgré cela, il reste pessimiste : «Depuis des mois, on parle de problèmes liés à l’augmentation de la population. Gouverner c’est prévoir. Jusqu’à ce matin, mon robinet est à sec. Pour m’approvisionner, je suis obligé de rester éveillé toute la nuit. Nous sommes vraiment fatigués.» Amère et désespérée, Madame Fall, sobrement habillée d’un boubou multicolore, parle d’un énième délai non respecté. «Chez moi depuis plus d’un an, je ne peux avoir d’eau portable. Le jour de la Korité, les choses étaient revenues à la normale pour deux jours. Honnêtement, je ne crois plus aux promesses des politiciens. Ce n’est pas la première fois qu’ils parlent de fin de la pénurie. Pendant ce temps, nous souffrons de plus en plus. Chaque jour, je paie au minimum 1 000 francs aux charretiers pour le transport.» Maillot blanc noirci par l’huile de moteur, Wilane s’est réveillé avec l’espoir d’en finir avec ce calvaire. Un seau rempli d’eau à la main, l’homme a vite déchanté : «Malheureusement, le problème persiste. Tous les matins avant d’aller au travail, il faut que j’aille chercher de l’eau pour avoir de quoi me laver le soir. C’est très dur.»
Fontaines publiques et citernes à la rescousse
Le ministre de l’Hydraulique, Mansour Faye, n’a pas été aussi précis que son patron. Si l’originaire de Gossas a parlé de fin du calvaire, le maire de Saint-Louis a, quant à lui, fait dans la prudence. «A partir du 20 juillet, on aura une nette amélioration avec la couverture de la moitié du déficit», avait-il dit lors à l’ouverture des travaux du forage de Dieupeul. Les autorités gouvernementales ne sont pas les seules à s’être prononcées sur les problèmes d’approvisionnement de la capitale sénégalaise en eau. La Société nationale des eaux du Sénégal (Sones) a de son côté préféré jouer la carte de la prudence en apportant des réponses techniques. Charles Fall, directeur général de ladite structure, parlait d’amélioration de l’alimentation en eau potable de Dakar d’ici la fin du mois de juillet avec les opérations à Bayakh et Tassette dans le cadre du Programme spécial d’amélioration et d’alimentation en eau potable de Dakar ( Psdak).
Tout comme la Sones, la Sénégalaise des eaux n’a pas voulu confirmer la date du 20 juillet annoncée par le Premier ministre. «Je ne peux pas dire qu’à la date du 20 juillet avancée par le Premier ministre, tout sera derrière nous. Ce que je peux dire est qu’en ce moment, tout est en train d’être fait pour que la pénurie soit un mauvais souvenir», avait réagi Ndiaya Diop, chargé de communication de la Sde.
Malgré les prudentes déclarations de ces trois autorités, il n’y a pas d’amélioration dans les maisons. Les difficultés perdurent. La plupart des familles sont obligées de sortir de leur domicile pour avoir des réserves. L’eau, elles la cherchent et se la disputent. Dans un coin de l’Unité 11 des Parcelles Assainies, jeunes et adultes entourent un camion-citerne bleu. Avec deux tuyaux, le «secouriste» alimente les habitants de la zone. Ceux qui sont déjà sur les lieux se précipitent pour placer leurs bassines, bouteilles ou seaux le plus près possible du véhicule pour se servir les premiers. Les retardataires courent dans l’espoir d’en trouver de quoi se laver, boire ou cuisiner. Chacun veut s’approvisionner avant l’autre. Une tâche ardue pour l’agent censé organiser la distribution. Le pagne complètement mouillé, le foulard autour de la ceinture, Ndèye Diop déplore la situation : «C’est très compliqué pour une femme au foyer d’aller chercher de l’eau dans les rues pour ensuite retourner préparer le repas. Aucune goutte d’eau ne sort de nos robinets. De ce fait, on court après les camions citernes. Nous voulons de l’eau chez nous.»
Entre la caserne des sapeurs-pompiers et l’école Dior, il est difficile voire impossible de marcher cent mètres sans apercevoir un groupe autour d’une borne-fontaine. Ces robinets récemment installés sont pris d’assaut par les populations, notamment celui situé à côté de la boulangerie Mandela. Sous le chaud soleil, les femmes surveillent leurs bassines, les hommes chargent les siennes sur des charrettes et des brouettes. Même les enfants s’y mettent, mais avec plus d’humeur et d’insouciance. Ils font du bruit avec plusieurs bouteilles attachées sur leurs doigts avec de légers morceaux de tissu en attendant de les remplir et les conduire dans leurs foyers respectifs. C’est ce qu’est en train de faire Papi Sow. Une bouteille sur chaque main, l’adolescent traverse la route avec deux de ses camarades.
Stagiaire