Marché Sandaga : Reconstruction d’un patrimoine sur fond de polémiques

La démolition du bâtiment du marché Sandaga est entourée de polémiques. Déjà la mairie de la ville et celle de la commune se disputent la reconstruction. A cela, il faut ajouter l’inquiétude des commerçants qui doutent que l’objectif initial soit dévoyé, et aussi le fait que la procédure qui entoure la reconstruction d’un patrimoine classé ne soit pas respectée.Par Dieynaba KANE
– Il y a un peu plus d’un an les autorités avait démoli une partie du bâtiment historique du marché Sandaga. A l’époque, la raison avancée était la reconstruction parce que le bâtiment était devenu très vétuste. D’ailleurs les travaux devraient durer 24 mois. C’était le 2 août 2020. Près d’une année après, c’est une nouvelle démolition qui a été constatée hier. Les commerçants, délogés des lieux, se plaignaient des lenteurs notées dans les travaux. Avec cette nouvelle démolition, ils se posent des questions sur leur retour dans ce marché. Certains se demandent même si le bâtiment ne va pas être transformé en hôtel. Même si les autorités assurent que l’objectif est de reconstruire ce bâtiment historique, des doutes persistent sur leur véritable volonté. Cela, d’autant plus que la mairie de la ville et la commune de Dakar-Plateau, où se trouve le marché, se disputent la reconstruction de cette infrastructure. La mairie de Dakar avait d’ailleurs contesté la compétence de la commune de Dakar-Plateau d’un état des droits réels qui prouve qu’elle est propriétaire de l’infrastructure devant l’Armp. Seulement, l’agence s’était déclarée incompétente en soutenant que le point de litige ne porte pas sur une question de marchés publics. Le maire de Dakar-Plateau, Alioune Ndoye, a pour sa part toujours soutenu que Sandaga appartient à sa commune. «Si c’est pour donner le marché Sandaga à des privés ou à je ne sais qui pour en faire autre chose que sa vocation originelle, ils auront toujours la commune de Plateau et sa population en face. Que cela soit clair. Sandaga appartient à la commune de Dakar-Plateau», avait-il fait savoir en mai dernier.
A côté de cette «guerre» entre la mairie de la ville et celle de Dakar-Plateau pour le contrôle de cette infrastructure, il y a aussi le débat sur le fait que le bâtiment est placé patrimoine historique. Sur ce point, l’ancien ministre de l’Urbanisme, du logement et de l’hygiène publique, Abdou Karim Fofana, qui avait entamé le projet de reconstruction dudit bâtiment, avait tenu à «préciser que le bâtiment historique sera réhabilité ou reconstruit à l’identique». Il avait ainsi assuré qu’il n’est «nullement question de conduire un projet architectural différent». Sur le site dudit ministère, il est clairement indiqué que : «Pour épouser les standards d’un marché moderne, le bâtiment est prévu pour être reconstruit dans une forme surélevée afin d’y aménager des places de parking, au sous-sol, et des infrastructures d’assainissement. Tous les commerces qui créent de l’encombrement autour seront déplacés pour permettre une meilleure circulation.» De même, ajoutait-on dans cet article : «Le ministre Abdou Karim Fofana reste ouvert aux recommandations et avis de spécialistes pour l’érection d’un bâtiment moderne qui répond aux normes de sécurité, tout en gardant la forme initiale.»
Aujourd’hui, après la démolition de ce qui restait de ce bâtiment, des voix s’élèvent pour dénoncer le non-respect des règles de réhabilitation d’un bâtiment classé patrimoine historique. Sur Rfm, l’architecte Mamadou Berthé trouve scandaleux ce qui a été fait. Il explique la raison pour laquelle il a été surpris par cette démolition : «Un monument classé relève d’un type de protection établi par une loi. Un monument classé, même son propriétaire n’a pas le droit d’y effectuer des travaux sans autorisation spéciale. Son propriétaire ne peut pas le réaménager sans autorisation spéciale. Quand je dis autorisation spéciale, ce n’est pas le chef de Bureau qui l’autorise, c’est ce qu’on appelle la Commission supérieure des monuments. Cette commission a autorité sur le chef de Bureau et elle est scientifique. Elle est composée d’universitaires, d’experts, de spécialistes, de juristes qui étudient la question sur tous les angles avant d’établir quoi que ce soit. Je suis surpris que sous prétexte qu’un chef de service, qui n’est même plus en poste, ait donné l’autorisation et que sur cette base on démolit un bâtiment classé.» L’architecte fait savoir que sa surprise est d’autant plus grande parce que «si on pouvait mettre une étoile, Sandaga aurait 4 étoiles sur 5». Selon lui, «c’est un ouvrage qui aurait pu, compte tenu de son authenticité, de sa valeur historique et culturelle, être inscrit sur la liste du patrimoine mondial».
Erigé en 1933, le marché Sandaga, symbole du commerce au Sénégal, ne répondait «plus aux normes sécuritaires et sanitaires». C’est la raison pour laquelle sa reconstruction a été décidée.
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