La cheffe du Rassemblement national (Rn), Marine Le Pen, a visité cette semaine le Sénégal. Cette visite dont on dit qu’elle s’est longtemps préparée, visait, entre autres, une présentation d’une nouvelle approche faite de «redéfinition» des rapports Nord-Sud et d’un plaidoyer pour la cause sénégalaise dans la quête d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Pour qu’une voix africaine se fasse entendre dans le concert des Nations, qui de mieux que l’Extrême-droite française pour aider à la porter ? La cheffe du Rn a donc pu rencontrer ses militants et sympathisants dans notre pays, car elle y fait de bons scores, mais elle s’est également livrée à des visites économiques auprès d’entreprises françaises bien établies. Les organisateurs de son séjour discréditent la carte d’une nouvelle «Françafrique» en mettant les rencontres de Marine Le Pen sous le sceau d’une consolidation d’une stature à l’international, tout en nouant des liens d’égal à égal, libérés de tout paternalisme et de toute condescendance avec l’Afrique.

On aurait bien aimé croire à une telle profession de foi, mais certains actes de sa visite laissent perplexe. J’en veux pour exemple la visite sur le site industriel d’une compagnie française opérant dans le secteur agricole et traînant bien des clichés de ce qui est rejeté de la politique africaine de ce pays. Marine Le Pen nous fait la leçon sur la souveraineté alimentaire du Sénégal et de l’Afrique en militant pour un «co-développpement» Afrique-Europe afin de nous aider à baisser nos importations de céréales comme le riz. C’est assez osé de demander de soutenir des «capitaines d’industrie» européens qui sont venus investir en terre sénégalaise avec des capitaux conjoints de la Banque africaine de développement (Bad) et de la Banque européenne d’investissement (Bei) à hauteur de 31 millions d’euros. C’est bien de louer l’inventivité française pour aider à résoudre la question de l’autosuffisance alimentaire au Sénégal, mais Marine Le Pen ne doit pas le faire sur le perron d’une usine à l’arrêt depuis près de trois années.

C’est bien d’applaudir un capital français conquérant et aventurier aux yeux de Marine Le Pen, mais on peut bien en rire si celui-ci n’a pas mené de campagnes de production depuis deux ans et cherche encore l’aide de l’Etat sénégalais à hauteur de 5 milliards de francs Cfa pour se renflouer et tourner à nouveau. On ne peut vendre un «champion» qui, par sa cessation d’activités, tue toute une économie paysanne et un écosystème agro-industriel, laisse sur le carreau des fournisseurs et prestataires sénégalais.

L’argument d’une nécessité de sauver un géant de la filière rizicole sénégalaise est bien légitime, mais des industriels sénégalais comme Vital Agro avaient le même potentiel et le même élan pour contribuer à l’objectif d’autosuffisance en riz. Ils n’ont certainement pas eu les mêmes chances que leur concurrent français, ou ils n’ont pas de politiciens sénégalais aussi adeptes de la préférence nationale que le sont ceux de la formation de Mme Le Pen.

Voir des politiciens visiter des sites industriels et trouver des voies et moyens pour appuyer leurs promoteurs est très salutaire, mais si on le fait sur des terres acquises auprès de paysans sénégalais à de vils prix avec un financement d’une banque de développement d’un continent indexé comme à la source de beaucoup de maux contemporains de l’Europe, décrédibilise à nos yeux tout discours d’une refondation.

La copie est à revoir pour Mme Le Pen et c’est sur ce type de débat que sont attendues les grandes gueules sénégalaises et africaines, adeptes d’un discours populiste pour conspuer la présence économique française au Sénégal à coup de slogans dégagistes creux. J’oubliais qu’ils se suffisent ces jours-ci à promener une mule à peine voilée d’un nouvel impérialisme russe sur le continent dans les rues de Dakar.

Sur un autre registre, l’ancienne Première ministre, Mme Aminata Touré, s’est permis, dans une tribune sur Jeune Afrique, de refuser à Mme Marine Le Pen l’accès au sol sénégalais. Quelle est cette posture de faire le jeu des gens qui veulent fermer leurs frontières et contenir des «afflux de migrants», tout en utilisant les mêmes raisonnements qu’eux ? Cet excès de fierté et ce raisonnement au quart de tour pour rendre coup pour coup sont bien dépassés, même si l’ancienne Première ministre nous rappelle le traumatisme de la violence morale subie pendant ses années étudiantes par des organisations d’Extrême-droite, liées d’une certaine manière au Front national, mère du Rn. Madame Le Pen s’est présentée en toute légalité sur le territoire sénégalais, a communiqué dans sa fiche de police, les motifs de sa visite, son lieu de séjour et la composition de sa délégation de neuf personnes. Elle a pu mener ses visites et consultations partout, sans être importunée ou chahutée. Leçon de dispositif migratoire et d’accueil opérant et cohérent ne pourrait être meilleure à une adepte de terroirs aseptisés de toute intrusion étrangère !

On aurait compris un tollé d’indignations si la première autorité du pays, à savoir le Président Macky Sall, avait reçu une élue dont les postures hostiles de sa formation politique à notre diaspora ont pu se manifester à plusieurs reprises. Mais comme pour le passage de Eric Zemmour à Dakar l’année dernière, nos Palais commencent à se faire à l’idée qu’on ne s’accommode pas de toutes les audiences. C’est déjà un soulagement de laisser tous libres de leurs mouvements, tout en étant ferme sur ceux avec qui se coltiner ou non.

Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn