Il nous apparaît utile d’indiquer en direction des plus jeunes (jusqu’à 45 ans) et de rappeler aux adultes (46-65 ans) qu’en grand visionnaire qu’il était, le Président Léopold Sédar Senghor avait déployé les efforts préventifs nécessaires afin que le Sénégal ne fût pas frontalier du Maroc malgré les relations de toute nature le liant lui-même, personnellement, au monarque chérifien et celles partagées par notre pays avec le Maroc.
C’est ainsi qu’à la veille des indépendances, au moment où le Maroc revendiquait le territoire mauritanien et souhaitait annexer la Mauritanie ou, à tout le moins, partager cette entité avec le Sénégal, le Président Senghor refusa net et accorda le maximum de soutien à la Mauritanie, allant jusqu’à lui offrir d’installer sa «capitale» à Saint-Louis car Nouakchott d’aujourd’hui (qui prit le relais en 1957) n’existait pas. Pourtant, plus tard, dans un moment d’égarement, certaines autorités mauritaniennes avaient cru pouvoir revendiquer, au moins une partie de Saint-Louis, au motif qu’en un instant fugitif de l’histoire, cette localité aurait été leur «capitale». La générosité sénégalaise était rangée aux oubliettes. La fermeté du chef de l’Etat sénégalais, mit rapidement un terme à cette prétention insensée.
Sur la même lancée d’appui, le Sénégal parrainera, aux côtés de la Tunisie, l’admission de la République Islamique de Mauritanie à l’Onu (Octobre 1961), ce qui lui permettra de disposer d’un Etat tampon entre le Maroc et notre pays.
Enfin, signalons  qu’en 1984, le Royaume du Maroc s’était porté candidat à l’adhésion à la Communauté économique européenne. En 1987, celle-ci rejeta cette demande au motif que le Maroc n’était pas un pays européen. Vers 1995, l’Europe tenta la mise sur pied d’un type d’association avec le pourtour du bassin méditerranéen, qui fit long feu car 10 ans plus tard, aucun résultat concluant ne fut enregistré. En l’an 2000, Sa Majesté le Roi Mohammed VI  sollicita un statut devant être «plus que l’Association et moins que l’adhésion». C’est ainsi qu’en 2004/2005, l’Union européenne (Ue) lança le Programme intitulé : Politique européenne de voisinage (Pev), qui devait un peu mieux ouvrir le Marché commun européen à un certain nombre de pays méditerranéens dont le Maroc,  la Tunisie, Israël etc. A la pratique, comprenant que ce Pev n’était en place que pour des périodes de 3 à 5 ans renouvelables, ce qui n’offrait pas assez de garantie, le Maroc se mit en quête de plus d’ouverture économique.
De sorte que, si aujourd’hui, il est fait état du souhait du royaume chérifien d’adhérer à la Communauté des Etats d’Afrique de l’ouest (Cedeao), nous comprenons que ce pays continue dans la recherche effrénée d’un plus grand espace vital, mais nous nous étonnons du mutisme de tous (presse, politiques, ong, universitaires, entreprises etc…) au Sénégal comme dans la sous-région car, nous aurions dû nous interroger, au moins, sur la pertinence, pour notre Communauté, de cette démarche marocaine , qui de toute évidence, ne va pas dans le sens de nos intérêts économiques. Pourtant,  les uns ne se sont pas fait prier pour fustiger les Accords de partenariat économique (Ape) avec l’Ue ; les autres, parfois les mêmes, s’en sont pris, frontalement, au Franc Cfa, pourtant bonne monnaie en Afrique, même si nous admettons qu’il devrait subir une réforme, ne serait-ce que par rapport au compte d’opération du Trésor français. Or, sur cette affaire Maroc/Cedeao : silence radio.
Après tout, que gagneraient le Sénégal et les autres Etats membres de la Communauté dans une adhésion du Maroc à la Cedeao ? Rien ! Le Maroc ? Tout !
S’il rejoignait  la Cedeao, le Maroc, se verrait offrir un vaste marché. En outre, étant mieux organisé que le Nigeria, il se révélerait le pays  le plus fort de la zone et se positionnerait favorablement dans la perspective de capter toutes les retombées issues de la mise en œuvre des Ape avec l’Europe.
Le Sénégal doit méditer sa défaite dans la course à la présidence de la Commission de l’Union africaine et admettre que son excès d’engagement-pour ne pas dire de zèle- dans la réintégration du Maroc à l’Union africaine (Ua) n’a pas été bien vu par certains Etats membres de l’Ua, qui ne se sont pas gênés pour rappeler que nul n’avait exclu cet ancien pays membre de l’Organisation continentale, mais que c’était lui même qui avait volontairement quitté l’Oua en 1984 ; ce qui est vrai.  Le Maroc n’a même pas attendu de chauffer son siège récupéré à l’Ua, qu’il s’empresse de lorgner sur la Cedeao. Il  bombarde la sous-région de missions ministérielles porteuses de messages royaux. Il nous rejoue le refrain du disque rayé des liens multiséculaires  «… historiques, humains, religieux,  etc. qui se sont renforcés au cours des dernières années à travers les 23 visites royales dans 11 pays de la région», même si, en permanence, les ressortissants Cedeao, à la recherche d’une meilleure vie de l’autre côté de la méditerranée, sont violemment maltraités, ostracisés, discriminés sur son territoire. Il ne se prive pas de rappeler sa participation à la lutte contre tel ou tel fléau comme la pandémie Ebola, à diverses intermédiations dans des crises politiques intra Cedeao (Côte d’Ivoire, les deux Guinées, des pays de la Mano River Union), alors qu’il n’avait pas été le seul intervenant étatique hors Cedeao etc. Ce ne sont pas là des arguments  convaincants susceptibles de fonder l’adhésion du Maroc à la Cedeao.
Le Maroc, c’est un marché de quelques 35 millions d’habitants, avec un Pib de 105 milliards de dollars. La Cedeao offre un marché de 320 millions d’habitants (près de 10 fois plus que celui du Maroc) soit 30% de la population totale de l’Afrique et un Pib d’environ 565 milliards de dollars.
Dans tous les secteurs, l’économie marocaine s’est révélée dynamique et performante. Clairement, son marché intérieur ne lui suffit plus. D’où les tentatives d’ouverture vers l’Europe qui, malheureusement, n’ont pas été concluantes, sans parler d’une Union du Maghreb arabe (Uma-90 millions d’habitants) qui piétine, de sorte qu’après un activisme gagnant tous azimuts sur le Continent au sud du Sahara (pénétration significative de la banque/assurance ; rachats  d’entreprises dont des fleurons de notre industrie ; déploiement de la force exportatrice des secteurs primaire et secondaire ; expansion conquérante de la Royal Air Maroc ; infiltration prédominante  du  Btp etc.), il ne reste plus au Maroc qu’à jeter carrément, son dévolu sur la Cedeao.
Il se trouve que, comme son nom l’indique, la Cedeao concerne les Etats de l’Afrique de l’Ouest ainsi regroupés par l’Organisation de l’unité africaine (Oua devenue Ua) depuis l’adoption, en 1976, de la résolution CM/Res.464 (XXVI) de son Conseil des ministres qui précisa que le Continent était physiquement  réparti et délimité en 5 régions avec leurs communautés économiques régionales (Cer) ; la Cedeao correspondant à la zone géographique de l’Afrique de l’Ouest (y compris la Mauritanie qui ne s’en retirera qu’en 1999). Ceci fut confirmé, plus tard, en 1991, dans l’article premier du Traité d’Abuja instituant la Communauté économique africaine (Cea) qui, par ailleurs, insista sur le renforcement des Cer. Le Royaume du Maroc ne fait pas partie de l’Afrique de l’Ouest mais de la région Afrique du Nord (Cer : Uma) où même le Sahara occidental est classé. Donc, un Etat non situé ni rangé dans la région Afrique de l’Ouest n’a pas vocation à devenir membre de  la Cedeao, même s’il est vrai que la géographie peut ouvrir la voie à l’appartenance à plusieurs Cer ou Cer sous-régionales, ce qui pousse d’ailleurs, d’aucuns à prôner une certaine rationalisation des Cer.
En outre, comment le Maroc pourrait-il adhérer à la Cedeao puisque- sauf erreur de notre part- le Traité de la Cedeao (1976 révisé en 1993) ne prévoit nulle part l’adhésion de quelque Etat que ce soit hormis ceux qui auraient ratifié ledit Traité et dont les noms figurent expressément dans le Préambule. Seul le retrait d’un Etat membre est envisagé. Pour dire qu’aucune base juridique ne saurait sous-tendre cette adhésion. Au demeurant, le président de la Commission de la Cedeao, le Béninois Marcel de Souza, a bien indiqué qu’ « …au vu de nos textes, le Maroc ne peut pas être admis comme membre de la Cedeao… »  Nous ne sommes pas d’accord avec lui lorsqu’il ajoute « …mais c’est aux chefs d’Etat de décider… ». Comment le feraient-ils ? En violation des textes ? Contrairement au plaidoyer marocain, on ne peut pas prolonger l’Ouest jusqu’au Nord. La géographie n’est pas dotée de propriétés élastiques.
Le Maroc aurait déjà le statut d’observateur auprès de la Cedeao ? Cela ne signifie rien et ne donne droit à rien, car le Tchad aussi, tout comme le Réseau de l’entreprise en Afrique de l’Ouest (Reao) bénéficient de ce statut d’observateur.
Il conviendrait  donc qu’à l’instar de la Communauté européenne jadis, la Cedeao se donne le temps de l’examen et de la réflexion puis, qu’une fin de non recevoir soit apportée à cette tentative sans intérêt pour les Etats Cedeao. Ceci n’exclut pas des accords entre l’Uma et la Cedeao ou, au plan bilatéral, entre certains Etats Cedeao et le Maroc, mais dans le respect des normes et exigences de l’Ua et de notre Communauté.
Si par sentimentalisme, complexe d’infériorité, manque de vigilance ou naïveté, cette requête – déjà incompréhensiblement inscrite à l‘ordre du jour – était favorablement examinée en juin prochain par le Sommet des chefs d’Etat de la Cedeao prévu pour se tenir au Liberia et qu’on faisait entrer le loup dans la bergerie, on s’en mordrait les doigts, mais ce sera trop tard. Fait inédit dans l’histoire de L’Oua/Ua, le Maroc vient de faire capoter la Conférence des Ministres des Finances convoquée à Dakar, conjointement  par la Cea-Onu et l’Ua, pour se tenir les 27 et 28 mars 2017 sur l’intégration économique du Continent, sous le fallacieux prétexte amalgamé de la présence du Sahara Oc­cidental, membre de l’Ua mais pas de l’Onu. Une telle situation ne s’est jamais produite dans l’histoire de l’Oua/Ua. Ce fut par torpillage de la réunion d’experts sur un sujet qui n’était pas politicien. Le Royaume du Maroc a pu ainsi, tout seul, tenir tête à toute l’Afrique. Une fois intégré dans la Cedeao, ce ne sont pas les 15  membres actuels qui pourront faire face à l’agenda caché de ce pays.
Jean-Paul DIAS
Ancien Président du   
Conseil des Ministres de la Cedeao