Huit décennies après le drame de Thiaroye, le Sénégal poursuit sa quête de vérité. Le Comité de commémoration du 80e anniversaire a remis, jeudi, au Président Bassirou Diomaye Faye, le Livre blanc sur le massacre des Tirailleurs à Thiaroye. Un travail de mémoire et de recherche pour éclairer un pan encore obscur de l’histoire coloniale.Par Ousmane SOW – 

Après la remise officielle du Livre blanc sur le massacre de Thiaroye, le Comité de commémoration a fait face à la presse hier au Building administratif Mamadou Dia. Fruit d’un patient travail de recherche, de documentation et de concertation, le Livre blanc vise à éclairer les circonstances du massacre, honorer la mémoire des victimes et promouvoir une reconnaissance historique partagée. Car plus de 80 ans après la tragédie, le 1er décembre 1944, la vérité reste à exhumer. Le lieu exact et le nombre de Tirailleurs exécutés demeurent sujets à controverse. La France reconnaît 35 morts, quand plusieurs chercheurs évoquent plus de 400 victimes. Des fouilles archéologiques sans précédent ont été entamées en mai dernier au Cimetière de Thiaroye, mais aucun résultat officiel n’a encore été rendu public. Sans doute, l’objectif de ces fouilles est de localiser, identifier et comprendre les conditions précises de ce massacre.

Pour le Pr Mamadou Diouf, historien et président du Comité de commémoration, le Livre blanc marque une étape essentielle, celle d’un état des lieux objectif et méthodique. «En fait, ce qu’on a fait, dès le départ, c’est de présenter le contenu du Livre blanc», explique-t-il. «La manière dont nous avons procédé pour répondre à des questions précises liées au massacre : qu’est-ce qui s’est réellement passé ?», interroge-t-il. Le document retrace les grandes lignes du travail engagé : discussion des sources, étude des archives, exploration du déroulé du massacre et analyse des différentes interprétations. «Ce qui a été le plus important, c’est le travail fait par les archéologues, les débuts de fouille et de sondage au cimetière pour au moins essayer, à partir des restes humains, de savoir exactement comment ils sont morts, quelle a été la manière de les inhumer…», souligne-t-il. Avant d’ajouter : «c’est un travail inachevé qui continue. Les fouilles n’ont concerné que quelques tombes. Il faudra explorer tout le cimetière et fouiller d’autres lieux où des victimes ont pu être enterrées dans des fosses communes.»

Cette entreprise s’inscrit aussi dans une exigence d’ouverture des archives, notamment françaises. «Nous avons dressé la liste des archives disponibles et identifié celles qui restent inaccessibles», insiste Mamadou Diouf. Et de poursuivre : «Il faut maintenant étendre la recherche aux archives allemandes, anglaises et américaines parce qu’effectivement, on pourra apprendre énormément de choses à partir de cela.» Alors, une démarche de coopération internationale s’impose. «On ne peut pas écrire cette histoire sans collaborer avec les Français, car ils détiennent une partie de la documentation. Ce qu’on leur reproche, c’est de ne pas la rendre accessible à tous», fait-il savoir.

«Sous les tombes, des fosses communes»
Les premiers résultats des fouilles apportent déjà des révélations troublantes. Moustapha Sall, professeur d’archéologie et président de la sous-commission archéologie du Comité Thiaroye 44, en témoigne : «cette première phase était une phase de test : avons-nous des sépultures sous les tombes ? La réponse est oui», confie-t-il. Mais il ajoute aussitôt : «Est-ce que ces tombes sont concomitantes à l’enterrement ? Non, elles sont postérieures.» Les chercheurs ont ainsi découvert que certaines tombes ne contenaient aucun squelette, d’autres renfermaient des corps disposés à l’extérieur du carré funéraire. «Cela veut dire que ces tombes-là, c’est une mise en scène», affirme l’archéologue. «Elles ont été posées in memoriam, bien après les faits», précise-t-il.

Les fouilles révèlent également la présence de fosses communes. «Les squelettes sont rangés de manière parallèle, en dehors des tombes. La stratigraphie montre un creusement simultané.» Les indices matériels laissent peu de place au doute. Dans certaines rangées, les chercheurs ont trouvé des clous et des restes de coffrages en bois ; dans d’autres, des balles et des traces de tirs. Les observations deviennent glaçantes lorsqu’il évoque les restes humains. «Deux squelettes portent des traces de balles, un autre a encore les balles incrustées», révèle Moustapha Sall. «Et un individu de la première rangée avait des chaînes autour des tibias. Il portait les insignes d’un grade. Etait-ce un soldat révolté qu’on aurait enchaîné avant de l’abattre ?» La posture des corps en dit long sur les conditions de leur mort. «Les trois individus de la rangée 1 ont les pieds joints ; ceux de la rangée 2, les pieds écartés. Peut-être les premiers étaient-ils enchaînés, couchés, avant d’être exécutés», suggère le chercheur.
Les fouilles, encore partielles, soulèvent plus de questions qu’elles n’en résolvent. «Avec ce petit travail de sondage, on pose plus de questions qu’on n’en résout», admet Mousta­pha Sall. «Mais ce qui compte, c’est de restituer les faits. Nous disons ce que nous avons trouvé. L’interprétation viendra ensuite», a-t-il laissé entendre.
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