Par Mame Woury THIOUBOU (Envoyée spéciale à Ouagadougou) – Mati Diop, la réalisatrice franco-sénégalaise de «Atlantique», et Abderrahmane Sissako, l’auteur mauritanien de «Timbuktu» et «Bamako» entre autres, ont tenu une Master class dans le cadre du Fespaco 2021. De générations différentes, les deux cinéastes n’ont pas toujours la même vision des choses.

L’un des principaux obstacles auxquels se heurtent les cinéastes du continent, reste le financement de leurs films. Cette question a été au cœur du discours de Abderrahmane Sissako à l’occasion d’une Master Class tenue dans le cadre du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). Selon le réalisateur de Bamako et Timbuktu, «c’est une vision politique qu’il faut avoir». Intervenant aux côtés de Mati Diop dans une discussion modérée par Clémentine Dramani Oussoufou, le cinéaste s’est prêté à un véritable plaidoyer en faveur des ressources endogènes. En effet, Sissako estime que dans le cinéma comme dans la politique, les pays africains ne doivent plus rien attendre de l’Europe. «L’extérieur ne cherche pas à nous développer, il ne cherche pas à ce qu’on ait une belle cinématographie», insiste Sissako en s’adressant à un parterre de festivaliers. Le réalisateur pointe ainsi du doigt la nécessité de rompre avec le modèle des aides financières attendues de l’Occident. «Nous pensons toujours que notre cinéma va se développer par un principe de soutien à notre cinématographie qui vient de l’extérieur. Ca ne marche pas. Ca n’a pas marché dans le développement, ça ne peut pas marcher dans le cinéma», martèle le réalisateur. Cette sortie de Sissako intervient au lendemain de la publication d’une tribune signée par Moussa Sène Absa du Sénégal, Mama Keïta de la Guinée, Amina Abdoulaye Mamani du Niger et Zeka Laplaine de la Centrafrique. Cette tribune pointe des manquements au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie en ce qui concerne l’allocation des fonds aux cinémas africains. Dans leur tribune, ces cinéastes dénoncent «les dérives opaques, discrétionnaires et abusives qui ont cours dans (son) département audiovisuel de l’Oif».

Se libérer des financements extérieurs
Citant l’exemple du Maroc qui produit 30 films par an grâce à une politique cinématographique qui a fait ses preuves, Abderrahmane Sissako note que son voisin algérien n’en produit pas plus de 5 films par an. «Il faut se libérer. Comment se libérer de ça ? Il faut le faire individuellement, pays par pays et ne pas rester dans la notion de l’Afrique en général. Il faut que chaque pays ait la détermination de changer les choses. Et certains pays commencent à le comprendre et ont des fonds de soutien.» Il faut dire que les cinémas africains vivent sous perfusion depuis de nombreuses années. Dépendant des guichets occidentaux, ils peinent aujourd’hui encore à s’affranchir de cette dépendance. L’appel de Abderrahmane Sissako arrive donc au moment ou de plus en plus, des pays africains mettent en place des fonds pour le financement de leur cinématographie nationale. Le Sénégal est un exemple très suivi en la matière ainsi que la Côte d’Ivoire dont le Fonsic a déjà permis de mettre en place des coproductions importantes, notamment celle réalisée entre le Sénégal et la Côte d’Ivoire autour du film de Philippe Lacote La Nuit des rois, en lice pour l’Etalon d’or de Yennenga au Fespaco 2021.

Particulariser l’acte cinématographique 
Cinéastes de générations différentes, Mati Diop et Abderrahmane Sissako ne partagent pas toujours la même vision des choses. Si pour la réalisatrice sénégalaise, parler du cinéma africain implique nécessairement d’avoir en perspective la problématique de la distribution. Pour le Mauri­tanien, l’exercice ne peut être qu’une redite dans la mesure où le débat se pose depuis des décennies sans aucune solution. «Je pense que la création artistique n’a pas d’âge. Nous sommes deux personnes qui s’expriment par le cinéma, qui racontent leurs identités. Il ne faut pas particulariser ses origines, il ne faut pas particulariser l’Afrique. Il faut particulariser l’acte cinématographique», insiste Sissako en balayant une tentative de Mati Diop d’évoquer la question du géant américain Netflix, de plus en plus présent sur le continent. «On va parler cinéma, un peu plus», recadre tout de suite Sissako. «Pour moi c’est ce qu’on est en train de faire. Parce que comme la musique, le cinéma est un art qui est très lié aux questions économiques. Et même si on est habité par ce besoin de faire, d’écrire, les questions de fabrication sont imbriquées», réplique Mati Diop. Elle souligne ainsi l’absence de solution pour son film dont la tare congénitale est d’être un film africain et en wolof. «Un film africain comme le mien (Atlantique) n’attire pas en salle. Bien que c’est un film qui a remporté le Grand Prix à Cannes, il n’a pas fait tant d’entrées en France parce que tourné en wolof et film africain. Netflix était une possibilité de le partager avec le plus grand nombre.»
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