Le corps du rappeur Baba Kana a été remis à ses parents avant-hier dans l’après-midi. Il a été inhumé dans la matinée du jeudi à Boinadji, dans le département de Matam, en présence de rappeurs résidant à Dakar et au Fouta, consternés, et qui réclament justice pour leur «frère de micro». D’autant plus qu’il ne faisait même pas partie des manifestants.Par Demba NIANG –

Le village de Boinadji, dans le département de Podor, était noir de monde le jeudi dernier. Une foule qui était venue non pas pour assister à un concert de son rappeur favori, Baba Kana, mais pour lui faire ses adieux. Abdoulaye Camara à l’état civil, Baba Kana avait quitté les Hlm dans la soirée du vendredi 2 juin, pour rentrer chez lui à Niary Tally, à l’heure où les manifestations faisaient rage à Dakar. A hauteur de Garage Guédiawaye, l’auteur du slogan «mi mayya dandé hoddo» (je vais mourir, mais ma voix restera éternelle) reçoit une balle, tombe et est trainé et torturé par les policiers. Car le rappeur n’a pas voulu fuir les policiers parce qu’estimant qu’il ne faisait pas partie des manifestants. Quelle erreur, car ce sont ces mêmes policiers qui ont remis son corps aux sapeurs-pompiers qui le déposeront finalement à l’hôpital de Grand-Yoff.

Mais le plus grave, c’est qu’il a été retrouvé 72 heures après son décès. Après l’autopsie qui n’a pas encore livré ses résultats, le corps a été remis aux parents et amis rappeurs qui s’étaient massivement joints aux recherches. Le cortège funèbre s’est rendu le mercredi 7 juin après-midi à Boinadji qui l’a vu naitre et a été témoin de ses premiers pas dans le mouvement hip-hop. Venus en masse pour accompagner leur frère à sa dernière demeure, les rappeurs du Fouta, avec leur mine triste, ne décolèrent pas et demandent «justice pour Baba Kana».
Dj Léry, animateur de rap à la radiotélévision Fulbé, présent lors de l’inhumation, témoigne : «Un rappeur pétri de talent qui avait la joie de vivre. Il y avait une nette congruence entre sa vie et sa production musicale.» Toute la crème du hip-hop du Fouta était présente à Boinadji, et la plupart était inconsolable car pour eux, «c’est un gars très humain qui s’en va pour ne jamais revenir. Une grande perte pour le hip-hop foutanké».

Une production musicale pleine de talent
Son slogan, «mi mayya dandé heddo» (je vais mourir, mais ma voix restera éternelle), montre à quel point Baba Kana s’était préparé à la mort et à son héritage, mais il ne s’y attendait pas le vendredi 2 juin, lorsqu’il voulait retrouver son domicile. En 2018, le rappeur originaire de Boinadji avait mis sur le marché un maxi intitulé Kalden gonga (que l’on se dise la vérité). La dénonciation des problèmes de sa commune (Boinadji), de la région de Matam et du Fouta compose l’essentiel de la thématique de son œuvre. Son dernier vidéo-clip, Mi yimani, est sorti il y a seulement un mois. Dj Léry, qui l’a accueilli en janvier dernier dans son émission à la radiotélévision Fulbé, révèle : «Baba Kana était un artiste de la tête aux pieds. En le côtoyant, j’ai su qu’avec lui, le rap avait de beaux jours.»

Ainsi, avec le décès de son rappeur préféré, la localité de Boinadji voit partir celui sur qui elle comptait pour dénoncer ses maux.
Correspondant