Si l’agriculture ne nourrit plus le paysan, c’est du fait des opérateurs semenciers avec la complicité de l’Etat. C’est le diagnostic sans complaisance fait par Cissé Kane Ndao, président de l’Alliance démocratique pour la République (Ader).
Si les paysans sont pauvres dans ce pays, la cause est à chercher du côté des opérateurs semenciers. C’est du moins l’avis de Cissé Kane Ndao. Selon le président de l’Alliance démocratique pour la République (Ader), «les subventions versées par l’Etat au bénéfice de ces populations sont détournées par un groupuscule d’individus appelés opérateurs semenciers. Les mêmes pratiques sont aussi notées dans la distribution des engrais». A en croire M. Ndao qui se prononçait au cours d’une journée de restitution des recherches organisée par le Centre d’études et de recherches action sur la gouvernance (Cerag), en collaboration avec l’Alliance pour une industrie semencière en Afrique de l’Ouest (Asiwa), «ils se sont scandaleusement enrichis en détournant le système». Ces gros producteurs captent aujourd’hui, selon les statistiques fournies par l’Initiative prospective agricole et rurale (Ipar), environ 55% des intrants subventionnés. Et n’eut été «l’enquête exhaustive faite auprès des organismes paysans et certains opérateurs semenciers, ce comportement peu orthodoxe n’aurait pas été découvert», dit-il.
Les opérateurs semenciers se partagent 30 à 40 milliards
En fait, ces personnes qui n’excèdent pas une douzaine «sont les bénéficiaires de quotas et sont censés fournir chaque année des semences de qualité aux producteur agricoles». Mais en réalité, ils se partageant annuellement 30 à 40 milliards de francs, si on inclut la zone de la vallée avec les producteurs rizicoles. Les autorités étatiques qui ont essayé de combattre ce fléau y ont «laissé des plumes», informe le directeur de l’Ader. Certains hauts responsables sont tombés en disgrâce quand ils ont essayé de fouiner dans le business de ces opérateurs protégés par des chefs religieux et disposant en plus de lobbyistes très persuasifs, a dit en outre M. Ndao.
Selon toujours M. Cissé Kane Ndao, ce ne sont pas les moyens qui leur font défaut pour assurer leurs intérêts. «Ils sont milliardaires et se donnent les moyens pour influencer le système et défendre leurs intérêts contre ceux des paysans et de l’agriculture. Ces individus ont réussi par des subterfuges à se positionner comme intermédiaires au cœur du système, grâce à la libéralisation du secteur», explique-t-il. Leur modus operandi, dénoncent les panélistes, consiste à cela : «Quand l’Etat fixe par exemple le prix du niébé à 600 francs et le subventionne à hauteur de 70% au profit du paysan, ce dernier ne devrait payer que 180 francs à l’opérateur. Mais les 420 francs sont directement versés à l’opérateur par l’Etat, alors que la subvention est faite au profit du paysan.» Les exemples sont multiples. Selon M. Ndao, «l’opérateur peut trouver le paysan et lui demander s’il a besoin d’une tonne de semences. Il lui fait signer une facture d’achat pour une tonne de semences. En échange, il remet au pauvre paysan la somme de 50 mille francs et ils sont quittes. Le paysan qui tire le diable par la queue prend l’argent pour faire vivre sa famille. Alors que la tonne de niébés ou d’arachides que l’opérateur vient de vendre ne lui coûte en réalité aucun franc, car les 50 mille francs ne viennent pas de sa poche, mais plutôt de l’avance tirée de la banque». Mais le comble de tout cela, indique M. Ndao, est que l’opérateur sera en plus remboursé par l’Etat.
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