Mbour – Procès en diffamation : Eramet Grande Côte poursuit l’activiste Julien Potron au Tribunal

A l’initiative des attaques contre l’exploitation d’Eramet Grande Côte à Lompoul, Julien Potron, l’un des plus grands pourfendeurs de l’entreprise sénégalaise, a été à la barre hier du Tgi de Mbour pour diffamation. C’est la société minière qui lui a adressé une citation à comparaître, lassée de ses déclarations publiques jugées «graves et infondées». Pour Julien Potron, cette affaire dépasse sa personne.Par Alioune Badara CISS –
La citation à comparaître opposant la société minière Eramet Grande Côte à Julien Potron, qui se dit militant écologiste et président de l’Ong «Alerte environnement», a été renvoyée hier au 16 juin 2025 par le Tribunal de grande instance de Mbour. L’entreprise, qui accuse M. Potron de diffamation à travers des déclarations publiques jugées «graves et infondées», attend désormais la prochaine audience pour faire valoir ses droits.
Le différend porte sur des propos tenus par Julien Potron lors d’une conférence publique en février dernier. Il y aurait notamment accusé la compagnie d’«exploitation abusive des ressources» et de «négligence environnementale». Des propos que l’entreprise considère comme attentatoires à sa réputation.
Du côté du prévenu, la défense s’organise. Julien Potron affirme avoir simplement «relayé les préoccupations des populations locales face aux impacts des activités minières sur l’environnement et la santé». Il estime que ce procès est «une tentative d’intimidation pour faire taire les voix critiques».
Présent à l’audience, son avocat a plaidé pour un renvoi afin de disposer du temps nécessaire à la collecte de pièces justificatives et de témoignages. Le juge a accédé à cette demande, repoussant ainsi le débat au fond à une date ultérieure.
Eramet Grande Côte, de son côté, soutient qu’elle agit dans le strict respect des normes environnementales en vigueur. Pour Julien Potron, cette affaire dépasse sa personne. «Ce que je dis, c’est ce que les populations vivent. Je ne fais que porter leur voix. Le vrai débat doit porter sur la justice environnementale, pas sur des procès bâillons», a-t-il martelé à la sortie de l’audience.
La date de la prochaine audience est fixée au 16 juin 2025. Malgré tout, l’affaire devrait continuer à susciter de vives réactions, tant du côté des organisations citoyennes que du monde extractif.
Mais qui est cet homme ? Pourquoi s’agite-t-il ? Par patriotisme ou opportunisme ? A première vue, en lisant ses posts ou en l’écoutant, Julien Potron semble incarner un héros moderne contre une multinationale. Julien-David contre Goliath. «Le 18 novembre 2024, j’ai été voir une de mes clientes qui a une pompe solaire dans la zone. Quand je suis arrivé sur le champ, j’ai constaté qu’il y avait une mine côte à côte à son champ et qu’elle avait des difficultés à rembourser l’emprunt qu’elle avait contracté avec la Banque agricole qui est notre partenaire dans nos activités. C’était juste à côté du désert. Quand je suis monté, j’ai vu une mine gigantesque qui avait déjà avalé une grande partie du désert de Lompoul. A ce moment, j’ai décidé de prendre des vidéos, de les diffuser. Entretemps, j’ai commencé à me renseigner sur cette affaire pour voir de quoi il s’agissait exactement», résume Julien Potron pour justifier le début de ses attaques virulentes contre Gco.
Qui est Julien Potron ?
Le geste est noble et l’acte vaut tous les honneurs : s’ériger en défenseur de l’environnement et de l’intégrité pour une communauté. Mais l’idée d’un Julien Potron désintéressé, n’est-elle pas une légende forgée par la personne elle-même pour mieux combattre une entreprise minière ? La véritable histoire de ce Français de 41 ans, établi à Mbour, est peut-être moins romantique que la thèse véhiculée. Il s’agit d’un homme qui a voulu faire carrière dans l’entreprenariat, mais a connu quelques difficultés, comme beaucoup d’entrepreneurs.
Fondé en 2014 au Sénégal, Nadji bi Group est une entreprise qui développe des solutions solaires à impact pour les chaînes de valeur agricoles (production et transformation), afin d’améliorer les conditions de vie de ses utilisateurs. Mais pour un habitant de Mbour, localité pas du tout impactée par l’exploitation des sables minéralisés, pourquoi M. Potron est si actif quand il s’agit de vouer l’entreprise minière aux gémonies ? «Julien Potron vend des pompes solaires dans notre zone d’implantation, mais son problème c’est que Gco offre des kits solaires aux agriculteurs de la région des Niayes», informe un agriculteur très influent dans Diogo qui abrite la mine d’Eramet Grande Côte.
Ce qui pose question à qui n’est pas dupe, ce sont ses méthodes pour exposer les supposés manquements de l’entreprise. Le quadra se présente comme un lanceur d’alerte. Si Eramet Grande Côte n’est pas exempte de reproches dans sa gestion de la mine, l’ardeur de Julien Potron dans ce dossier ne passe pas inaperçue. Sur Linkedin, l’internaute Ibrahima Diaw, diplômé en agro-industrie, est sidéré : «M. Potron, toutes vos publications semblent exclusivement porter sur Gco. Pourquoi cet acharnement alors qu’à côté, d’autres mines posent des problèmes parfois encore plus graves ?» La réponse de Julien Potron est loin d’être convaincante : «Chaque chose a son temps et chaque temps a sa chose.» Un autre de ses suiveurs sur le même réseau social, en l’occurrence Mamadou Diouf, qui se définit comme un écotoxicologue, est interloqué : «J’aimerais bien savoir ta relation avec le désert de Lompoul ou avec la Gco ?» Est-ce à cause de cet acharnement que la pétition lancée contre l’entreprise le 14 mars peine à décoller ? Seulement plus de 1300 signatures obtenues contre les 50 000 que visent ses initiateurs d’ici la semaine prochaine.
Sur le plan social, la vie de Julien Potron n’a pas été un long fleuve tranquille. A l’âge de 12 ans, ses parents le laissent à Mbour, dans une famille sénégalaise, et retournent en France. Il grandit ainsi loin de sa famille biologique. Un de ses «frères» sénégalais est, lui, directeur d’un grand restaurant à Dakar.
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