Me Adama Guèye sur les candidats recalés : «Ils sont éliminés alors que le Conseil constitutionnel n’a pas encore statué»

Me Mame Adama Guèye, avocat et co-fondateur du Forum civil, qualifie de «dérive», «l’élimination des candidats» à la candidature par la Commission de contrôle du Conseil constitutionnel. Par Amadou MBODJI –
La Commission de contrôle des parrainages a scellé le sort de plus de 72 des candidats déclarés à la Présidentielle sur les 93. Certains ont vu leur candidature recalée pour défaut de parrainage, tandis que 21 candidats ont vu leurs parrainages validés.
Réagissant à cette situation, Me Mame Adama Guèye, avocat et co-fondateur du Forum civil, parle d’«une dérive». L’avocat estime que la Commission de contrôle a «empiété sur le champ des prérogatives strictement réservées au Conseil constitutionnel».
«Il y a des candidats qui sont irrémédiablement éliminés alors que le Conseil constitutionnel n’a pas encore statué. L’élimination d’un candidat doit nécessairement procéder de l’exercice du pouvoir juridictionnel du Conseil constitutionnel. Ce qui n’est pas le cas», rappelle l’ancien Bâtonnier, qui intervenait hier dans l’émission «Objection» sur Sud Fm.
«C’est d’ailleurs pour rattraper cette erreur que le Conseil constitutionnel a rendu plus tôt sa décision, qui était attendue le 20 janvier prochain», renchérit l’avocat.
«L’architecture institutionnelle au niveau du Conseil constitutionnel est problématique. Sur le plan procédural, on a un gros problème. Le Conseil constitutionnel exerce un pouvoir juridictionnel. Un pouvoir juridictionnel, seuls des magistrats peuvent l’exercer. Le Conseil constitutionnel a le droit d’organiser les modalités de contrôle du parrainage. Mais là, il y a une dérive. Parce que cette Commission de contrôle du parrainage, aujourd’hui, ses décisions créent des situations irréversibles», diagnostique le spécialiste du Droit. Et ce dernier d’en rajouter une couche. «Alors que le Conseil constitutionnel n’a pas encore exercé son pouvoir juridictionnel, il y a des candidats irrémédiablement recalés. Comme si cette Commission de contrôle des parrainages avait un pouvoir juridictionnel. Cette commission n’a pas de pouvoir», note Me Mame Adama Guèye. «Ce qui pose problème dans ce cas précis, c’est le fait que la commission se soit prononcée sur la recevabilité ou non de candidatures avant le Conseil constitutionnel, qui est la seule juridiction habilitée à le faire», admet Me Guèye.
«Sur le plan procédural de manière générale, on dit que lorsqu’une juridiction est saisie et qu’il y a des questions techniques qui ne relèvent pas de la compétence du juge, il peut s’en référer à des experts. C’est un peu ce qu’on a reproduit au niveau du Conseil constitutionnel. Mais dans l’ordonnancement, ce n’est pas très bien fait. Parce que dans l’ordonnancement en matière de procédure, l’expert est saisi après que la juridiction a déjà connaissance de l’affaire et a buté sur des difficultés techniques», souligne Me Mame Adama Guèye. «Ce qu’on aurait pu imaginer, c’est que le Conseil constitutionnel soit saisi de l’ensemble des dossiers, examine et rende une décision provisoire sur la base d’un contrôle formel de recevabilité. Les dossiers recevables, le Conseil peut ensuite demander à une commission technique de contrôler les parrainages sur le plan strictement technique. Les décisions de cette structure d’experts doivent être déférées au Conseil uniquement pour lui permettre de fonder techniquement sa décision», renchérit-il.
Diagnostic des 12 ans du régime de Macky
Critiquant le bilan du chef de l’Etat, Me Guèye estime que le Président Sall a «occulté l’indice de perception de la bonne gouvernance, de la démocratie et des droits humains», lors de son discours à la Nation du 31 décembre dernier. Lequel indice de perception, selon lui, est «un baromètre non négligeable d’appréciation de l’action gouvernementale».
«Je prends comme repère le discours du président de la République le 31 décembre 2023. Il a énuméré beaucoup de réalisations en termes d’infrastructures, sur l’énergie, la construction d’hôpitaux. Pour résumer, c’est un bilan strictement matériel. Il y a de bonnes choses sur ce plan et il faut être objectif. Il y a des améliorations notables sur les infrastructures, l’énergie et dans la construction d’hôpitaux», souligne Me Mame Adama Guèye.
«Le fait qu’une infrastructure existe, ce n’est pas suffisant, parce que les modalités de réalisation aussi doivent être diagnostiquées. Donc, si on s’arrête à la réalisation, on fausse le débat, parce qu’on doit aller au-delà pour voir l’efficience : est-ce que cela a été fait dans les meilleures conditions et au meilleur coût ? Ce que je veux dire, c’est que dans le bilan qui a été dressé par le Président Macky Sall, lui-même, il ne fait référence qu’à un legs matériel. Aucune référence à un legs immatériel», souligne-t-il. «Il avait beaucoup de volonté d’améliorer la bonne gouvernance, mais, à l’arrivée, il n’en a rien été», fait remarquer l’avocat.
«Aucune référence à la démocratie, à la bonne gouvernance, aux droits humains. C’est très parlant. C’est un révélateur», fulmine l’avocat. Cela prouve, à l’en croire, que «cette gouvernance de Macky Sall, pendant 12 ans, n’a pas permis de maintenir les acquis sur certaines questions, notamment les droits de l’Homme, la bonne gouvernance… La gouvernance ne s’est pas améliorée, la lutte contre la corruption non plus», mentionne Me Guèye.
Le cofondateur du Forum civil dira, en outre : «la gouvernance institutionnelle, les droits humains, les libertés. Et de ce point de vue, il faut le constater pour le déplorer, la gouvernance de Macky Sall présente un bilan très négatif», argue-t-il. Et l’avocat d’affaires de citer «le nombre important de personnes emprisonnées pour des délits d’opinion» dont «Aliou Sané, coordonnateur de Y’en a marre. Même si le chef de l’Etat et son gouvernement s’échinent à le nier». Selon lui, «les faits parlent d’eux-mêmes».
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