Fragilisées par les attaques terroristes, les enlèvements et la peur, les radios communautaires se dressent comme les derniers remparts de l’information de proximité. a l’occasion de ses 40 ans, Reporters sans frontières (Rsf) a projeté, à l’Institut français du Sénégal, le documentaire «Radios communautaires : leur combat pour informer au Sahel», du réalisateur français Robin Grassi. Un film de 23 minutes qui plonge dans le quotidien de trois journalistes malien, nigérien et burkinabè décidés à informer malgré la terreur.Par Ousmane SOW –

 «Aujourd’hui, ce n’est pas facile d’être journaliste au Sahel. Mais que faire ? On est obligés de continuer, c’est un métier pour lequel on a vraiment opté», souffle Ousmane Abdoulaye Touré, directeur de la radio Naata Fm de Gao (Mali). Sa voix tremble, mais la conviction reste intacte. Sa station, 91.7, a payé un lourd tribut : l’un de ses confrères, Abdoul Aziz Djibrilla, a été abattu le 6 novembre 2022. Le véhicule avec lequel il se rendait à Gao, a été attaqué par une bande armée, qui n’a pas été identifiée à ce jour. Lui a été tué sur le coup. «Deux de ses confrères sont encore retenus en otage par des groupes armés», rappelle-t-il. Fondée en 1993, la radio communautaire Naata (espoir en songhai, une langue nationale du Mali) est l’une des plus anciennes stations de radio communautaire de la région dans le village de Labbezanga, à près de 200 kilomètres au nord de Gao, non loin de la frontière entre le Mali et le Niger. Cette radio, dit-il, est née d’une volonté des ressortissants de Gao d’offrir une tribune à la paix, au moment où l’Etat malien signait un pacte avec les rebelles. «Les gens voulaient un lieu pour dire que les hostilités étaient finies, pour inviter rebelles, militaires, religieux à parler ensemble. Aujourd’hui encore, les notables, où qu’ils soient, veulent écouter Naata. La radio est dans le cœur de nos communautés», explique Ousmane Abdoulaye Touré, après la projection du film vendredi dernier à l’Institut français, à l’occasion de la célébration des 40 ans de Reporters sans frontières (Rsf). La radio Naata a résisté aux flammes, aux menaces. Elle est un souffle vital dans ces régions prises en étau. «Je suis sûr qu’en 2012, si la radio n’avait pas existé, les gens auraient quitté Gao. Leur seul espoir restait cette radio qui, malgré l’insécurité et les pressions, continuait à émettre, à sensibiliser, malgré les difficultés sécuritaires», confie le journaliste, avant de raconter, la voix brisée, comment des Moudjahidines avaient enlevé l’un de ses techniciens. «Un jour, nous étions assis à la radio en conférence de rédaction. Nous avons reçu la visite des Moudjahidines. Ils ont fouillé nos ordinateurs, nos téléphones… Ils n’ont rien trouvé. Mais ça n’a pas empêché qu’ils l’emmènent», raconte Ousmane Abdoulaye Touré.
A Ouahigouya, au Nord du Burkina, Adama Sougouri, directeur de la radio La Voix du Paysan, partage la même résilience. «Malgré la situation, plein de jeunes s’intéressent encore au journalisme. Chaque trois mois, nous recevons plus d’une trentaine de candidatures pour six places de stage. C’est réconfortant», témoigne-t-il. Ces «héros» de l’information, travaillant dans les pays de l’Alliance des Etats du Sahel (Aes) où le terrorisme s’est installé depuis quelques années, témoignent de leur vécu où l’insécurité est quasi permanente. «Nos populations se battent seules pour protéger leurs villages. Cette résistance, on ne vous la montre pas. Mais elle existe, et elle mérite d’être saluée. Je suis convaincu qu’un jour, nos pays sortiront de cette crise, la tête haute», a estimé Adama Sougouri. Au Niger, Fati Amadou Ali, directrice de la radio La Voix de la Tapoa, vit le même quotidien d’incertitude. Dans la zone de Tillabéri, théâtre de violences répétées, son antenne est souvent la seule voix audible pour des communautés. Le documentaire la montre en immersion, entre micro, terrain et peur permanente.
Une résilience qui est saluée par Reporters sans frontières (Rsf), qui a lancé, en novembre 2024, un appel, avec 500 radios communautaires, pour la protection du journalisme local au Sahel. Pour Anne Bocandé, directrice éditoriale de Rsf, il était important de mettre en lumière la situation des radios communautaires. «Les radios communautaires sont des piliers dans le Sahel. Elles sont en première ligne face aux menaces, mais elles assurent le maillage de toute la région. Nous disons : il faut plus de radios communautaires, pas moins», a-t-elle lancé. En plus de cette projection et d’une exposition intitulée «Photographier le monde de demain» de Reporters sans frontières, elle a, avec Sadibou Marone, directeur du Bureau Afrique subsaharienne de Rsf, animé, dans la soirée, une masterclass, en collaboration avec l’Institut français du Sénégal, pour outiller les journalistes sénégalais face à des défis contemporains tels que la lutte contre les «fake news» ou encore la guerre de l’attention.
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