Pour certaines juristes sénégalaises, le genre n’est pas pris en compte dans les réformes foncières. Ainsi souhaite la présidente d’honneur de l’Association des juristes sénégalaises, Marie Delphine Ndiaye, une meilleure prise en charge du genre dans le projet.
Marie Delphine Ndiaye souhaite que le genre soit davantage pris en compte dans le Plan Sénégal émergent (Pse) qui est le programme stratégique du pays sur les 20 ou 25 ans à venir. Notamment au niveau des présentations et des conclusions de la réforme foncière. «Que cela soit un axe prioritaire. Certes, le document de politique foncière parle de genre, mais pas de manière aussi approfondie que nous l’aurons souhaité», a affirmé la juriste lundi, à l’issue d’une présentation sur l’accès des femmes au foncier. En effet explique-t-elle, le genre étant transversal, «il ne s’agit pas seulement, des femmes, mais aussi le développement durable à savoir les jeunes, les générations futures». «Nous aurions souhaité que la politique en projet puisse davantage approfondir la question du genre avec la dimension développement durable, la dimension femme, ainsi que la dimension jeune».
Aussi, souligne la présidente d’honneur de l’Ajs, les bonnes terres sont accaparées par les hommes au détriment des femmes et jeunes à qui l’on attribue des terres éloignées, moins fertiles. D’où sa plaidoirie pour une désaffectation, afin de mieux distribuer la terre. «Il y a des affectataires qui ne mettent pas en valeur. Pourquoi ne pas retirer ces terres d’autant plus que la loi sur le domaine national dit que si on affecte une terre, vous ne la mettez pas en valeur pendant trois ans, qu’on la retire et qu’on la donne à une autre personne».
Méconnaissant les procédures et absentes des instances de gouvernance foncière, les femmes et les jeunes ne cultivent que grâce à la location. Ce qui est juridiquement anormal, d’après la juriste, qui appelle à corriger une «inégalité de fait par une discrimination positive qui doit être dans le document de politique foncière». «Ce n’est plus une question de droit, la Constitution l’a réglée, c’est une question de fait qui est là», précise Mme Ndiaye.
En tant que citoyenne, la femme ne doit pas louer les terres. C’est inadmissible, aux yeux de la juriste, qui veut un recensement des terres non valorisées par les affectataires afin de redistribuer aux femmes.
Par ailleurs, relève-t-elle, les facteurs bloquant l’accès des femmes au foncier sont multiples. L’un d’eux est leur statut de fille, d’épouse ou de belle-fille dans la famille. Alors qu’au Sénégal comme dans beaucoup de pays en Afrique, la terre est affectée au chef de famille où il y a plusieurs ménages ou plusieurs épouses. Donc, un statut qui ne lui permet pas d’avoir droit à la terre. L’autre facteur bloquant est la précarité des unions. «La polygamie et les risques de divorce font que lorsque vous appartenez plus à cette famille, on vous retire la terre qui vous a été donnée pour la culture et vous devez partir», déplore Marie Delphine Ndiaye. En outre, fustige la juriste, «quand le mari décède, on demande souvent à la femme de partir et elle retourne à sa famille d’origine». «Où est la sécurité juridique», s’interroge-t-elle. A son avis, «si on ne donne pas à la femme un titre par une délibération, lui dire que voilà ce qui vous appartient, tant qu’on aura pas cela, la précarité et l’insécurité juridique resteront là. Parce que nous ne sommes malheureusement, pas chef de famille dans nos ménages et l’incertitude et l’aléa de la polygamie et du divorce sont là, sans compter la succession».
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