Même si ça ne me regarde pas… Yaoundé-Genève, un Biya aller-retour

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Cinquante-cinq séjours à Genève entre 1969 et 2002
Que doit-on retenir des sept mandats et quarante-deux années de magistère de Paul Biya ? Les goûts et les couleurs ne se discutent pas : le choix de l’amour immodéré pour les «petits séjours privés» à Genève du Président camerounais l’emporte…
Rassurez-vous, il n’attend pas d’être président de la République pour s’émerveiller des plaisirs helvètes : l’ancien directeur de l’Intercontinental de Genève, Herbert Schott, raconte dans un ouvrage comment ils font connaissance en 1969 alors que Biya est chef de Cabinet à la Présidence et lui, chef de réception. Ils deviennent des familiers tellement leurs destins semblent parallèles un quart de siècle durant. Et, précise l’hôtelier, Biya est «si attaché à Genève qu’il avait entrepris entre 1969 et 2002, plus de cinquante-cinq visites à notre ville, toujours à titre privé». Un hôtelier qui se respecte cirerait les bottes pour bien moins que ça à pareil client…
Un consortium de journalistes soucieux des deniers publics camerounais estime à soixante-cinq millions de dollars, soit plus de trente-six milliards de francs Cfa, la facture des séjours privés de Biya entre 1982 et 2017. Petite précision : la location de jets privés et autres extras ne sont pas compris dans ces calculs d’épicier qui ont le don d’énerver les activistes camerounais en exil.
Dans ce chronogramme du petit tourisme privé, l’année 2009 est un grand cru : Biya passe cent jours en Europe, dont une escapade de trois semaines à La Baule, en France, là où son cauchemar multipartiste commence en 1990… Un pèlerinage ? Coût de ce bivouac pour lequel il faut quarante-trois chambres et suites à quarante-deux mille euros la nuitée : huit cent mille euros, soit à peu près cinq-cent-vingt-cinq misérables millions de francs Cfa.
De la p’tite bière…
En 2019, cependant, ces jaloux d’activistes le contraindront à écourter son séjour avec des manifestations devant son hôtel qui occasionnent l’agression d’un journaliste de la Radio-Télévision Suisse par la sécurité présidentielle. Ces brutes épaisses seront condamnées à des peines assorties de sursis par la Justice helvétique qui ne blague pas vraiment avec l’intégrité des journalistes et le droit à l’information. Biya, comme punition, reste deux ans sans y retourner. Mais ce doit être plus fort que lui, et les financiers de l’Intercontinental aussi commencent à se languir de ce client pas comme les autres… Voyez-vous ça : depuis plus de vingt-cinq ans, à chaque séjour, le Camerounais Suprême occupe avec sa suite le dernier étage du palace à cinquante mille francs suisses la nuitée, soit un peu plus de trente-cinq millions de francs Cfa.
Quoi, pourquoi ces tronches de comptables frustrés ?
En 2021, lorsque les activistes sous la bannière des «Sardinards» débarquent à l’Intercontinental de Genève, la sécurité de l’hôtel et la police leur font face : ils sont arrêtés, conduits manu militari au poste. Ces indignés en exil finissent par écoper d’amendes-jours assorties du sursis, allant de mille huit cents à deux mille sept cents francs suisses, soit d’environ un million deux cents à un million neuf cent mille francs Cfa…
Bref, les escapades au pays des banquiers muets commencent à devenir compliquées pour Biya et ses proches.
Mais c’est en 2024 que le pays retiendra son souffle : parti le 4 septembre assister au Forum de coopération Chine-Afrique, le Focac de Pékin, au cours duquel la crinière rouge sang de Chantal Vigouroux Biya, sa flamboyante épouse, vole la vedette aux figurants de la photo-souvenir, Paul Biya disparaît des radars.
On ne l’aperçoit, les semaines suivantes, ni au Sommet de la Francophonie à Paris ni à l’Assemblée générale des Nations unies à New York.
Les rumeurs les plus folles sur son état de santé qui agitent l’opinion camerounaise, obligent le gouvernement à annoncer son retour dans un communiqué le 8 octobre. Le Président camerounais et sa volcanique épouse débarquent en fin de compte le 21 de ce mois-là, bras dessus, bras dessous, tandis que les Camerounais leur réservent un accueil psychédélique avec des motocyclistes en divagation et des citoyens en haies d’honneur dans les rues de Yaoundé.
C’est fou, l’amour…
Tout ceci pour ne pas s’étonner de voir rempiler Paul Biya à la prochaine élection, même s’il doit convaincre les électeurs depuis une chaise roulante, alors que son dentier menace de rouler au sol pendant ses tirades et que ses trous de mémoire laissent des blancs entre les phrases…
S’il passe au prochain scrutin avec un score soviétique, comme à l’accoutumée, Paul Biya devra ôter une douloureuse épine du pied camerounais : les velléités sécessionnistes de la partie anglophone, en plus d’endiguer la menace djihadiste, au Nord, à la frontière nigériane secouée épisodiquement par les raids de Boko Haram.
Coordonner des troupes pour bouter l’ennemi dehors, ça demande du nerf, du jarret et du sourcil, en effet, mais si l’inusable Paul Barthélémy Biya’a bi Mvondo s’en sent capable depuis le dernier étage de l’Intercontinental de Genève, que veut de plus le Peuple ?