Les efforts de l’Etat pour lutter contre les abus, l’exploitation, la maltraitance dont sont victimes les enfants talibés sont jugés insuffisants par l’Ong Human rights watch (Hrw). Dans un nouveau rapport publié hier, l’Ong montre les insuffisances des programmes mis en place pour lutter contre ce problème.

C’est un rapport de plus qui met en lumière la situation difficile que vivent les enfants talibés au Sénégal. Human rights watch (Hrw), après celui de juin 2019, vient de publier un autre rapport sur le sujet avec les mêmes reproches faits au Sénégal : son «incapacité à mettre fin aux abus dans les écoles coraniques». Dans un document publié hier, l’Ong souligne que «le gouvernement sénégalais n’a pas été assez loin pour lutter contre les abus, l’exploitation et la négligence chroniques et généralisés dont sont victimes des milliers d’enfants talibés vivant dans les écoles coraniques traditionnelles».
Le rapport de 91 pages intitulé «La place de ces enfants n’est pas dans la rue : Une feuille de route pour mettre fin à la maltraitance des talibés au Sénégal», analyse la politique, la programmation et les efforts judiciaires du gouvernement sénégalais de 2017 à 2019 pour lutter contre les abus. L’enquête menée par les membres de cette organisation montre que le gouvernement n’a pas fait assez d’efforts. Dans son document, Human rights watch rappelle qu’elle «a documenté des abus graves et récurrents contre les enfants talibés au Sénégal depuis plus de dix ans». Selon cette organisation, il y a actuellement «plus de 100 mille enfants dans le pays forcés par des maîtres coraniques, également connus sous le nom de marabouts, à mendier quotidiennement de l’argent ou de la nourriture». Elle rappelle que «les marabouts abusifs fixent des quotas de mendicité quotidiens imposés par des passages à tabac». Dans la même veine, les auteurs du document renseignent que «nombre d’entre eux infligent également des punitions sévères aux enfants qui tentent de fuir ou refusent d’étudier, notamment en les enchaînant ou en les privant de nourriture». Ils soulignent que «cha­que année des centaines d’enfants talibés, fuyant ces abus, se retrouvent dans la rue».
Ce rapport analyse les programmes et mesures mis en place par l’Etat pour lutter contre ce problème. D’après Hrw, «la décennie écoulée a révélé une tendance lente, mais positive à l’application des lois nationales interdisant les abus et la négligence volontaire d’enfants, la séquestration, la mise en danger d’autrui et la traite des personnes (notamment l’exploitation de la mendicité d’autrui) dans les affaires impliquant des maîtres coraniques». A en croire les auteurs du rapport, «au moins 29 maîtres coraniques ou leurs assistants ont été poursuivis pour abus contre des enfants entre 2017 et 2019, entraînant au moins 25 condamnations, dont 8 pour traite des personnes». Cependant, soulignent-ils, «le total reste faible par rapport à la nature généralisée des abus». Des obstacles à la justice ont été aussi relevés. Selon Hrw, des travailleurs sociaux et des agents de la police «omettent de signaler, d’enquêter ou de renvoyer des affaires». Il en est aussi de même pour les membres de la famille «qui choisissent de ne pas porter plainte». Il a été également relevé «l’accès limité des enfants à l’assistance judiciaire et la pression publique sur le pouvoir judiciaire pour abandonner ou réduire les accusations ou les peines prononcées à l’encontre de maîtres coraniques, liée à leur influence sociale».

Incohérences et retards notés dans les programmes
S’agissant du programme visant à lutter contre la mendicité forcée des enfants en les retirant de la rue, l’Ong constate que celui-ci, «mis en œuvre uniquement à Dakar, n’avait eu aucun impact généralisé ou durable, en raison de sa portée limitée et de son incapacité à garantir des enquêtes et des poursuites à l’encontre des maîtres coraniques qui avaient forcé les enfants à mendier». Quid des autres efforts annoncés par le gouvernement ? L’organisation souligne que «l’assistance sociale à certains daaras et talibés, l’établissement de plusieurs daaras modernes et la lutte contre la traite des personnes sont restés limités et ont souffert d’incohérences et de retards». Les membres de l’Ong renseignent également que le projet de «loi visant à établir des normes nationales pour les daaras, rédigé initialement en 2013, n’a pas encore été soumis au vote parlementaire». A cela s’ajoute «le manque critique de ressources pour les services de la protection de l’enfant, tels que les travailleurs sociaux, les centres d’accueil pour enfants, et les comités de protection de l’enfant».
Pour une meilleure protection des enfants talibés, Human rights watch propose au gouvernement une feuille de route avec cinq mesures clés. Il s’agit «d’intensifier les programmes de lutte contre la mendicité des enfants, réglementer les daaras tout en soutenant ceux qui respectent les droits des enfants». Il est recommandé aussi de «développer les services de protection de l’enfance qui sont dotés de ressources insuffisantes, sévir contre la traite et le trafic d’enfants par des maîtres coraniques et accorder la priorité à la justice pour tous les abus commis à l’encontre des enfants talibés». L’organisation estime que le «gouvernement sénégalais doit s’engager dans une stratégie globale et multidimensionnelle et aussi adopter une approche qui allie dissuasion, assistance sociale et sensibilisation de la population».