Je n’ai pas encore eu la chance d’avoir une rencontre physique avec Hamidou Anne. Mais, comme beaucoup de Sénégalais, je peux me targuer d’être un de ses lecteurs assidus. Dans ces colonnes, j’ai eu, à chaque fois que l’occasion m’a été donnée, un immense plaisir de le lire. Sa plume, aussi belle que bardée d’érudition, s’est toujours battue pour les idéaux pour lesquels il ne transige jamais : la démocratie, la liberté, la justice, la laïcité.
Pendant quatre belles années, la plume en bandoulière, cet esprit brillant a nourri nos imaginaires de démocratie et de liberté, dans un environnement où règnent des invectives pour un «Projet» imaginaire et la déification d’un homme. Le parti Pastef, et il faut le constater avec un grand regret, a réussi une de ses missions fondamentales : annihiler la pensée sous toutes ses coutures. Il n’y a plus de balustrades pour contrer le charivari populiste qui sème le terrorisme intellectuel dans ce pays, depuis mars 2021. Dans ce grand tintamarre qu’est désormais notre pays, la vérité a une résonance homogène. Toutes les pensées ou élucubrations se dirigent vers cette confluence : susciter les vivats de cette horde de populistes qu’est Pastef. Les écluses intellectuelles et morales de nos pétitionnaires, jadis si enfiévrés à se déchaîner sur le régime de Macky, se sont subitement volatilisées, comme par coup de magie. Le jeu de la démocratie et des libertés, semble-t-il, n’en vaut plus la chandelle. La nouvelle manie de ces intellectuels -ou ceux considérés ainsi- consiste, désormais, à se transformer en thuriféraires et bien-pensants pour s’attirer les bonnes grâces des nouveaux princes et leurs roquets. Dans cet environnement où désormais il est une culture de jouer au faire-valoir, pour ne pas dire lèche-cul, afin de s’accommoder avec la nouvelle moraline sociale dominante, les intellectuels se sont littéralement terrés. Ceux qui subsistent de cette nouvelle génération d’intellectuels dont les idées et les postures sont aussi versatiles que comiques, hélas, n’ont plus le courage de clamer leurs positions. Les chemins vers le fascisme, sous le regard complice de ceux qui étaient hier les chantres et défenseurs de la liberté d’expression, sont allègrement essartés. Hamidou, au cours de ces dernières années, s’est distingué par ses idées tranchées contre ces gens-là, qu’il considère comme des «ratés», recyclés par la magie de la politique. Dans une chronique en date du 13 février 2024, il écrit ces lignes mâtinées de patriotisme et de désintéressement : «Personnellement, je ne m’opposais au projet populiste, séparatiste, islamiste et insurrectionnel des amis de M. Sonko ni pour plaire ni pour déplaire. Je m’oppose à eux par un devoir et au nom de l’antifascisme qui est le combat de ma vie […]. Je ne les combats ni pour les titres ni pour les honneurs de cette vie dont la finitude est la fatalité. Je ne les affronte que pour cette gloire silencieuse, qui est celle, après ma mort, de laisser le souvenir d’avoir aimé mon pays» (cf. «On ne discute pas avec un fasciste, on le combat»). Hamidou Anne a compris ce mot du philosophe français Michel Foucault qui, en parlant du rôle du philosophe (ou de l’intellectuel, par extension), dit qu’il doit «déranger ; et que celui qui arrange les choses ne remplit pas son rôle». L’auteur de «Panser l’Afrique qui vient!» a brillamment rempli son rôle, en nous rappelant, régulièrement, ce qui fait notre force et singularité : un Peuple résolument ancré dans la préservation de sa longue et belle tradition démocratique.
«Vos insultes sont nos médailles.» Les Sénégalais, qui s’érigent contre ce populisme destructeur pour notre pays, ont, comme carapace (bouclier), cet appel à rester debout de cet intellectuel courageux. A Hamidou, pour reprendre Kamel Daoud s’adressant à ses parents après avoir gagné le Goncourt, on peut dire ceci : «Aucun mot n’existe pour dire le vrai merci.»
Baba DIENG
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