En vrac, des souvenirs arrachés à mes carnets de reporter. Se souvenir pour essayer d’adoucir la peine d’une mort brusque et brutale. Nous sommes au début des années 2000. Le Sénégal vient de vivre sa première alternance après 40 ans de règne socialiste. Cette transition politique, qui coïncide avec le début d’un nouveau millénaire, la magie du chiffre rond (2000) aidant, ce changement donc, crée une atmosphère d’espoir, ouvre une ère de tous les possibles. Mais cette euphorie va bientôt céder la place à la désillusion et au désenchantement.
Né dans la foulée de l’alternance, le journal Le Quotidien était le théâtre d’un bouillonnement d’idées à la hauteur de ce bouleversement. Soro Diop, alors journaliste au desk politique, a été un observateur avisé de cette page du Sénégal. Ses écrits ont fasciné et fâché aussi bien les lecteurs que les journalistes frais émoulus des instituts de formation que nous étions. Plume rebelle et mâture. Analyse cynique, empathique et féroce. Phrases chargées de métaphores, parfois ampoulées, mais ô combien savantes. Son portrait de feu Abdou Latif Guèye de Jamra est une anthologie du genre. Son souci pour la langue bien travaillée tenait de son passé de prof. Il aimait citer Camus et Kundera.

On pouvait parfois lui reprocher ses excès, sa fougue. Mais Soro, c’était ça : le doyen d’âge de la Rédaction, mais sans doute le plus jeune de tous. Sourire malicieux, regard lumineux, allure pimpante dans ses vestes amples de vieux dandy, sa plume ardente a à la fois nourri nos passions pour ce métier et dérangé nos convictions éditoriales.

Nous étions alors une bande de jeunes reporters cultivant volontiers l’impertinence de­vant le comité de rédaction («le Cler­gé»), composé de journalistes che­vronnés. Soro, lui dont les pa­piers faisaient souvent la Une, échappait rarement à nos atta­ques.

Polémiste né, il taillait en pièces les critiques, et décochait des flèches redoutables à ses détracteurs. Son oraison retentit encore dans mes oreilles lorsque, en conférence de ré­daction, j’ai qualifié son pa­pier de «gauchiste revanchard». C’était, je crois, lors de la visite du Président américain, George Bush Junior, à Dakar en 2004.

Quelques jours après, il n’a pas hésité à me féliciter pour un reportage dans la banlieue dakaroise. Sur le plan humain, il a gagné mon respect, lorsqu’il a vaillamment défendu devant la hiérarchie du journal, un de ses reporters.
Par Abdou Rahmane MBENGUE