Message ouvert d’un ami à Youssou Diallo

En fin de matinée du dimanche 23/10/2022, je t’ai appelé sans te joindre pour avoir de tes nouvelles, et dans l’après-midi, ironie du sort, en surfant sur le web en quête d’informations, je tombe sur un article de toi dans DakarActu, intitulé lettre ouverte à Ibrahima Sène dont la lecture m’a laissé pantois et plein d’amertume.
La casquette que tu y as portée sur ta tête reconnue comme pleine, lucide et pertinente quand tu fus le dirigeant incontesté du mouvement étudiant au début des années 80, te va mal. N’attends pas aujourd’hui pour voler bas car tu nous avais habitués hier à planer très haut, au-dessus du niveau général.
Tu reproches à Ibrahima Sène dans ta lettre, de manquer d’arguments juridiques sans en apporter. Mais pour ma part, dans le débat sur une éventuelle possibilité de troisième candidature du Président Macky Sall, évoquer encore un aspect juridique n’est que de la diversion parce que déjà réglé depuis 2016 lorsque les référendaires (le Président initiateur, son rédacteur, ses collaborateurs) ont affirmé haut au Peuple appelé au vote, que la révision constitutionnelle proposée, dans son esprit comme dans son écriture, rendait impossible une candidature du Président en 2024. Aujourd’hui, on veut dans des élucubrations, leur faire dire et écrire le contraire.
La question simple est de savoir si le chef de l’Etat respectera ou non ce contrat moral avec le Peuple, ou s’il laissera ses partisans s’arc-bouter honteusement sur des ponctuations et des clauses de style pour travestir la pensée et interpréter fallacieusement des textes de lois, continuer leurs subterfuges, dérobades, pirouettes, acrobaties et virevoltes indignes de respect et de considération.
Nos aïeux doivent se retourner dans leur tombe. Que nous reste-t-il de leurs valeurs morales cardinales ? De nos jours, une reconnaissance de dettes écrite et dûment signée est exigée pour le plus petit emprunt effectué auprès d’un proche, faute de confiance aux engagements verbaux du débiteur, alors que dans notre civilisation ancestrale traditionnelle et orale, imbue de valeurs de courage, de droiture, d’honnêteté, d’honneur et de dignité, la sacralité de la parole donnée suffisait comme garantie sûre et certaine, parce qu’on ne se dédisait pas, on préférait se donner la mort à la place.
Non You, le respect de la liberté constitutionnelle de manifester des citoyens n’est pas une capitulation, mais une grandeur républicaine. Par contre, déclarer ne pas devoir accorder confiance aux légitimes mouvements de rue pour la justice et le droit des peuples, qualifier les manifestants de «terroristes politico-médiatiques» et appeler l’Etat et les Forces de l’ordre à faire face et sévir, ressemblent pour nous qui t’avons connu comme défenseur des opprimés, à une capitulation, un reniement.
Le président de la République doit certainement remarquer que ces va-t-en-guerre qui le poussent à briguer un troisième mandat, comme si sans lui c’est le déluge, ne sont pas prêts à former un bouclier autour de lui en cas de difficultés, car pour faire passer la forfaiture, tous dans leurs déclarations, comptent se réfugier lâchement derrière le Conseil constitutionnel (dont personne ne doute de la décision si un avis favorable lui était demandé), et les Forces de défense et de sécurité pour maintenir l’ordre et faire respecter les lois en cas de protestations. En voulant réveiller les vieux démons de l’injustice, de la frustration, de la colère et de la riposte, ils choisissent d’installer le pays dans un cercle vicieux infernal, mais quitteront le navire comme des rats s’il chavire.
La violence, l’instabilité politique et le chaos que l’on craint, vont provenir plutôt de ceux qui en premier ont décidé de tripatouiller la Constitution pour livrer la République qui nous est commune, à une coterie de prédateurs inamovibles. Car de l’arbitraire nait forcement la résistance.
La candidature de trop de Wade en 2012 est passée avec son lot de morts, mais nous n’apprenons pas de nos erreurs, de nos errements dans nos principes et de nos louvoiements, au mieux de nos égoïstes intérêts et privilèges. Depuis 2001 particulièrement, notre Constitution souffre de notre turpitude. Nos contradictions ne doivent pas nous empêcher d’avoir un esprit chevaleresque, un gentleman agreement sur notre loi fondamentale, pour nous garantir une coexistence sociale pacifique et une vie commune harmonieuse.
Cordialement
Ton ami que tu appelles affectueusement Alain Badiou
Abdoulaye BADIANE