Dans son quatrième album, le chanteur sénégalais, installé aux Etats-Unis, chante le Peuple noir dans un contexte qui ravive le mouvement Black lives matter.
«Le rastafarisme, c’est l’unité», martèle Méta Dia, un impressionnant foulard dressé sur la tête, lors de son passage à Paris pour la promotion de son quatrième album, Dia (prononcé «Jah»). Ce grand gaillard natif de Dakar, a élu domicile à New York depuis plus de vingt ans. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir un regard global sur la scène qu’il défend. Reggae européen, africain, jamaïcain… Des classifications qui, selon lui, cloisonnent, et qu’il refuse. «On fait tous partie de la même famille», assure-t-il dans un français mâtiné d’un fort accent anglais.
En 2001 pourtant, quand il débarque aux Etats-Unis, il ne comprend pas un traître mot. «C’était d’autant plus difficile avec le patwa, mais aux côtés de la diaspora jamaïcaine, haïtienne et trinidadienne, j’ai su me frayer un chemin personnel et musical.» Même à des milliers de kilomètres du pays qui l’a vu naître, celui qui collabore aujourd’hui avec les dignes représentants de la scène jamaïcaine, comme les fils Marley, n’en oublie pas ses racines. Des arpèges de xalam, guitare traditionnelle de la tribu peule, accompagnent ainsi ses morceaux.
La musicalité du Coran
«Le seul problème, c’est qu’en Afrique, malgré les talents qui existent au Sénégal ou ailleurs, le reggae est encore très stigmatisé, il reste associé aux fumeurs de weed», observe celui qui conjugue en harmonie, islam et rastafarisme. Une religion et une spiritualité parfaitement compatibles, pour ce fils d’un ex-professeur d’éducation islamique à l’université du Michigan, ayant grandi dans une famille d’imams. «J’ai d’abord trouvé ma voix en déclamant les récitations coraniques, se souvient-il. Il y a une vraie musicalité dans la lecture du Coran.» Une éducation dont il a su tirer profit pour concevoir en 2017, son album le plus méditatif, Hira, titré en référence à la grotte du même nom, où le prophète Mohamed effectuait ses retraites spirituelles.
C’est pourtant sur la scène hip-hop sénégalaise que Méta Dia a fait ses premières gammes à la fin des années 1990, au sein de la formation de rap contestataire Yalla Suuren (la bénédiction de Dieu en wolof). Sur Dia, il renoue d’ailleurs avec ses premières amours en mêlant roots reggae et rap. Mais, fini de «tacler le gouvernement» (de Adbou Diouf, le Président en place à l’époque), avec la fougue insolente de l’adolescent d’alors. La distance géographique et l’expérience lui ont permis de prendre de la hauteur et d’apaiser son discours, qu’il souhaite aujourd’hui positif et humaniste. «Nous [les Noirs] n’avons pas à justifier notre existence, ni porter les stigmates du passé, pour que la société fasse attention à nous. Nous devons être présents et conscients que notre plus grande force est d’être ensemble et de donner de l’amour.»
Décolonisation de la pensée
Méta Dia chante le Peuple noir et l’Afrique dans un élan panafricaniste, représentatif du mouvement Rastafari. «Africa rises from the colonial oppression […] Black people fight for liberation («L’Afrique se relève de l’oppression coloniale […] Les Noirs se battent pour la libération»)», scande-t-il sur le morceau d’ouverture, Libération. Un message universel qui ne date pas d’aujourd’hui, mais qui trouve une résonance avec les idées défendues par le mouvement de décolonisation de la pensée. «Comme disait Bob, il faut se libérer de l’esclavage mental», assure celui qui a vécu le mouvement Black lives matter de l’intérieur. «Ce mouvement est très similaire à celui des Black panther. Les Africains-Américains veulent se faire entendre et changer les choses, mais l’histoire se répète. Il n’y a pas de changement. Je respecte ce mouvement, mais on justifie notre présence et qui nous sommes. On doit construire tous ensemble», estime celui qui souhaite s’adresser à tout le monde. Ainsi, sur ce nouvel album enregistré dans les studios de Peter Gabriel, on retrouve des invités de choix comme Julian Marley sur «Concrete Jungle», une reprise de Bob Marley, ou encore la jeune artiste jamaïcaine SummeRR, avec qui il s’offre un duo, renouvelant ainsi une formule où les chanteuses de la scène reggae sont souvent relayées aux chœurs. Mais, c’est avec Les Cornerstones, son groupe métissé composé de musiciens venus de tous les horizons -des Pays-Bas au Japon, en passant par la France, la Côte d’Ivoire ou encore Israël-, que Méta Dia défendra son projet sur scène, en Europe à la fin de l’année, en attendant de se produire à la Biennale de Dakar au printemps 2022.
Jeune Afrique