L’affaire du taximan Ibrahima Samb, tué en 2016 d’une balle à la tête, était hier devant la Chambre criminelle où l’émotion avait étreint tout le monde. L’accusé Ousseynou Diop risque une peine de 20 ans de réclusion criminelle. Il sera édifié le 4 août prochain.

C’est une histoire qui réveille de vieilles blessures. L’affaire Ibrahima Samb, qui avait trépassé après avoir reçu une balle à la tête, était jugée hier. Dans la salle 1 du Tribunal de grande instance hors classe de Dakar où se déroulait le procès du présumé assassin, l’émotion était palpable. Ousmane Diop risque 20 ans de réclusion criminelle. Dans son réquisitoire, l’Avocat général a laissé entendre que les faits reprochés à l’accusé sont constants. La partie civile, quant à elle, a réclamé une somme totale de 500 millions de francs Cfa pour le préjudice matériel et moral. Il s’agit en effet de 300 millions F Cfa pour la maman de la victime, Thiané Faye, de 100 millions F Cfa pour chacune de ses sœurs, ainsi que le franc symbolique pour le Regroupement national des taximen du Sénégal.
Hier, l’accusé était pris dans le rouleau compresseur du juge, du Parquet et des avocats de la défense. De taille élancée, barbu, crâne rasé, masque accroché à l’oreille droite, vêtu d’un basin blanc, il a rembobiné le dramatique film joué dans la nuit du 27 octobre 2016 à la station Shell, située sur la route de l’aéroport militaire Léopold Sédar Senghor. «J’avoue que j’ai tort. Je demande pardon à la famille. Je me considère dorénavant membre de cette famille à qui j’ai causé du tort. En revanche, les déclarations des témoins ne correspondent pas à la réalité», explique-t-il, plein de remords.

«J’ai agi aveuglement sans vouloir donner la mort»
Il a eu une première altercation avec le défunt dans la station où il est venu faire le plein de sa Mercedes. Selon lui, sa voiture avait été heurtée par le taximan. Puis l’incident a été suivi d’échanges, d’injures et d’empoignades. Et ils ont été séparés maintes fois par les pompistes, selon les témoins à la barre. C’est dans la foulée que l’accusé tira un coup de sommation en l’air, puis un deuxième qui a atteint et écrasé l’une des roues du taxi, le troisième a été fatal à Ibrahima Samb. Alertés, les gendarmes trouveront son corps sans vie gisant dans une mare sang. «C’est le chauffeur de taxi qui m’a heurté. Je suis descendu pour le mettre en ordre sur un ton sérieux. Il m’a directement insulté lorsque je l’ai interpellé sur son acte. Il m’a tendu une embuscade en érigeant son taxi devant ma voiture. J’ai donné un tir sur le pneu, c’était pour éviter d’être poursuivis par le taximan et ses compères parce que je savais qu’il n’allait pas abdiquer. Et c’est en me sentant menacé que je me suis retourné et automatiquement le tir est parti», raconte-t-il. Il ajoute : «J’ai agi aveuglement sans vouloir donner la mort. C’est une balle perdue. Elle est sortie accidentellement. Je ne l’ai pas visé. J’ai appris sa mort dans les grilles à la gendarmerie. J’ai craqué comme jamais de ma vie.» Mais ces arguments de défense n’ont pas convaincu le Parquet général. Il estime qu’il y a eu mort d’homme, surtout que l’accusé l’a reconnue. Il estime qu’aucun acte dangereux ne compromettait sa sécurité du moment, car son protagoniste ne détenait pas d’arme. «C’est parce qu’il se sentait simplement offensé, qu’il est retourné prendre le pistolet dans sa voiture. Le dessein de la préméditation a été formé en allant chercher l’arme. En réalité, Ousseynou Diop est un type qui ne se laisse pas faire, qui n’a pas la maîtrise de soi, un type d’homme qui se laisse emporter par sa colère. Les faits d’assassinat sont largement constitués à son encontre. L’homicide est volontaire et a été largement et minutieusement préparé alors que rien ne faisait obstacle à son départ», ajoute l’Avocat général.

«Il y a eu une balle qui a perforé la tête»
En écho, la partie civile a aussi insisté sur la culpabilité de l’accusé. «Ce qui s’est passé n’a rien à voir avec ce qu’il a dit. Ibrahima Samb était en droit de riposter parce qu’on a proféré des injures à son encontre. Il a pointé son arme sur le crâne de la victime avec des insultes. Il y avait une intention dans un premier temps avant de faire du mal. Il y a eu préméditation. Il avait la possibilité de faire marche arrière et de s’en aller rapidement, mais parce que derrière sa tête il fallait qu’il lave son honneur, parce qu’il a été atteint. Les faits sont constants et rétablis dans une matérialité. Les faits suffissent pour qu’on caractérise la préméditation», plaide Me Aly Ndiaye. «Il y a eu une balle qui a perforé la tête. Par quel procédé ?», se demande Me Bamba Cissé. Il argumente : «Il l’a posée sur la tempe de la victime, tous les témoignages ont concordé en ce sens. La menace a été suivie d’une exécution effective. Le fait d’aller prendre son arme avec des propos et revenir avec la volonté de tuer, en disant je vais te tuer, il sera très difficile d’écarter la thèse de l’assassinat.»
Dans sa plaidoirie, Me Seyba Dankhafa, avocat de la défense, a demandé la disqualification des faits d’assassinat en homicide involontaire. «Nous estimons qu’on ne peut pas retenir l’assassinat. Il faut qu’il y ait un dessein formé. Est-ce qu’à suffisance on peut dire que Ousseynou Diop, en quittant chez lui, avait prémédité son acte ? Qu’on me montre une preuve qu’il y a eu un projet bien ficelé ! Non, c’est suite à une altercation, il y a eu plutôt un tir spontané et brusque, il n’a pas visé une partie vitale», se défend Me Dankhafa. Il essaie de sortir son client de cette situation mal embarquée. «Il a été pourchassé par la victime. Quand on réagit sur le coup de la colère, peut-on dire qu’il y a préméditation ? Non, c’est l’émotion qui joue dans ce cas d’espèce. Il y a eu mort, on n’en disconvient pas. Nous regrettons et nous compatissons à la douleur des parties civiles. Il y a regret et il l’a dit. L’élément intentionnel d’enlever la vie n’a été pas apporté.»
Inconsolables dans la salle, les héritiers de Ibrahima Samb, à savoir sa maman et ses deux sœurs, parlent d’une famille anéantie à cause de sa disparition tragique. «On a perdu notre espoir», ont-elles répété devant le juge. «Le préjudice est incommensurable», ajoutent les conseillers de la famille.
Le délibéré est fixé au 4 août.