La messe de lundi de Pentecôte fait partie des grands moments du Pèlerinage marial de Popenguine. Dans son homélie, Mgr André Guèye est allé recueillir des conseils et puiser de l’énergie spirituelle dans l’exemple de la vie de Marie, mais également dans les prières de la Vierge pour inviter les Sénégalais à entamer ensemble la marche pour un Sénégal de justice et de paix. «Commençons par invoquer la Miséricorde de Dieu, pour être à même de recueillir les dons qu’il nous réserve en ce jour : qu’il nous pardonne toutes paroles, toutes actions, tous comportements contraires à la justice et à la paix, entre nous et dans notre pays. Entrons dans cette célébration, en reconnaissant que nous sommes pécheurs», prie l’évêque de Thiès. TraitanL’écrivain américain Paul Auster est mort. Je connais très peu son travail, n’ayant jamais lu ses romans. En revanche, l’auteur provoque chez moi une mélancolie bouleversante. Il me fait penser à la course tragique du temps que rien ni personne n’arrête. J’ai un étrange attachement à Paul Auster sans jamais avoir réussi à lire quelque chose de lui. Cette situation vient d’une anecdote que je vais relater dans les lignes suivantes. Que le lecteur sache ici pardonner ce récit quelque peu impudique mais que les circonstances me poussent à raconter. Nous avions entre 15 et 16 ans, à Pikine, dans la fin tumultueuse des années Abdou Diouf. Le pays était vieillot, lassé des près de quarante années du socialisme. Dans les quartiers populaires, nous étions des adolescents difficiles, agités, entre l’école, le foot et la bagarre.
Nous allions à nos premières soirées au Bideew Bi night-club. C’était l’époque des premières amourettes, des navétanes et du rap soul, bientôt supplanté par le hardcore imposé par le mythique groupe Rap’Adio. Je passais des semaines chez les Laobés où habitait mon ami Ilimane. On dormait sur le même lit, alternativement chez lui ou chez moi, quand il venait loger à la maison.
Il était meilleur que nous tous au foot, c’était le numéro 10 de l’équipe, buteur agile, très talentueux. Il savait faire rire, avait une joie de vivre et une intelligence sensible aux mots. Il savait faire attention aux gens. Nous étions des gamins pauvres et fragiles mais joyeux et inconscients de notre sort, à vrai dire.
Un jour IIimane a laissé chez moi un livre de Paul Auster qu’une amie française de son père, guide touristique à Saly, lui avait offert. C’était un recueil de deux scénarios de l’auteur : Smoke et Brooklyn Boogie. Ils ont été adaptés au cinéma par Wayne Wang en 1995.
J’ai commencé le livre, c’était une période où je lisais tout ce qui me tombait sous la main, des magazines comme Onze, Femme Actuelle, OK Podium, France Football, aux ouvrages communistes comme les affreuses productions de Kim Il Sung ou les gentillets romans de Boubou Hama. Sur ce livre de Auster, j’étais quelque peu intrigué par ce type d’écriture où on ne racontait pas des histoires mais on disait l’heure, la météo, les allées et venues de personnages dans une extrême froideur. Mais j’ai très vite arrêté ma lecture car ce texte était très ennuyeux. Je découvrais sans le savoir l’écriture du scénario.
Des années plus tard, nous avons déménagé. La famille de Ilimane aussi, car les eaux des fortes inondations des années 2004/2005 ont arraché nos maisons. Le Président Wade avait eu l’idée du bassin de rétention qui eut raison de notre terrain de football.
J’ai pris le chemin des études et du service de l’Etat. Ilimane, qui avait arrêté l’école au collège, a changé de vie. Il a fait allégeance à un chef religieux, a décidé de suivre la voie Baay Fall. Le garçon taciturne est devenu blagueur même gouailleur. Le jean et le t-shirt ont cédé au njaxass et sa tête était désormais ornée de longues dreadlocks.
Il est devenu quelqu’un d’autre, nous nous voyons moins qu’avant, car il passait beaucoup de temps dans les champs de son guide spirituel, mais nous restions frères presque de sang.
Dix ans plus tard, nous étions devenus des adultes. Par le plus grand des hasards, il est venu un jour à la maison. Nous avons papoté comme souvent, refait le monde et raconté nos folies de jeunesse. Mes parents l’adoraient comme les siens ont toujours fait preuve pour moi d’une infinie tendresse. En partant, il a vu le livre de Paul Auster et a demandé à le reprendre. Mes tentatives de l’en dissuader ont été vaines. Je ne comprenais pas pourquoi lui qui avait arrêté tôt l’école, qui ne lisait jamais, avait subitement besoin de reprendre son livre. Tant pis, j’avais cédé.
Je l’ai raccompagné ensuite. Nous avons marché longtemps et, en nous séparant, avant de lui remettre le livre, j’eus l’idée saugrenue d’écrire sur la première page «A jamais».
Quelques semaines plus tard, on m’annonça brutalement la mort de Ilimane. D’une tuberculose paraît-il… En vrai, je ne sais toujours pas. On ne dit jamais de quoi sont morts les gens ici. On ensevelit leurs corps, outre de sable, d’un voile de pudeur et de foi. Allah avait donné. Il a repris. A Lui nous appartenons, à Lui nous retournons. On fait difficilement le deuil de nos morts. Je ne sais toujours pas de quoi sont morts les miens mais je sais que je ne guérirai jamais de la disparition de Ilimane Sow. Je le revois encore partir avec son caaya (pantalon bouffant) et son anango (boubou) en njaxas, les locks opprimées sous un gros bonnet. Livre de Paul Auster en main.
Paul Auster a accompagné mon adolescence. Son souvenir a cohabité avec mes pensées tristes sur l’injustice de la mort. Je n’ai jamais vu les films Smoke et Brooklyn Boogie. Je n’ai jamais lu Paul Auster. A son évocation, j’ai toujours gardé deux mots : à jamais. t le thème «Avec Marie, notre Mère, marchons ensemble pour un Sénégal de justice et de Paix», l’évêque de Thiès a insisté sur l’importance de ce thème qui interpelle tout le monde. «Pour les pèlerins des autres pays, il suffit d’enlever le Sénégal et de mettre le nom de votre pays, et vous verrez que nos réalités ne sont certainement pas très loin les unes des autres. Semer autour de nous la justice et la paix, en paroles, en actes et plus profondément encore en éduquant notre cœur ou notre conscience», explique-t-il. Magnifiant le dialogue islamo-chrétien avec la présence des chefs religieux musulmans et coutumiers, Mgr André Guèye a rappelé que le livre de la Genèse dans la première lecture, «a justement pointé le doigt sur cette faiblesse humaine, sa propension à l’orgueil et à l’égoïsme, qui a amené l’homme au péché, à la désobéissance à Dieu. Orgueil et égoïsme, qui ne cessent de guetter chacun et chacune d’entre nous. Grâce à sa croix, Christ est notre paix (cf. Eph, 2,14), Christ est notre justice (cf. Phi 3,9). Avant d’inviter ses frères et sœurs à pouvoir et à devoir recueillir ces dons, pour en vivre et pour en témoigner, c’est-à-dire semer autour de nous, la justice et la paix, en paroles, en actes et plus profondément encore en éduquant notre cœur ou notre conscience, siège de nos intentions et mère de nos comportements, tout spécialement l’éducation des enfants et des jeunes», a déclaré l’évêque. A l’endroit des fidèles catholiques, Mgr André Guèye leur rappelle qu’ils sont à Popenguine pour apprendre de Marie. «Laissons-nous alors éduquer par Marie, édifier par l’exemple de sa vie, et en particulier dans le passage de l’Evangile : elle n’a pas récriminé, au contraire, elle s’est tue dans le silence de l’abandon à la volonté de Dieu, c’est elle la nouvelle Eve qui nous apprend l’obéissance à cette volonté ; elle ne s’est pas laissé aller dans la haine, au contraire elle déploie son amour maternel. Témoin de tout ce qui s’est passé, elle a ressenti au plus profond d’elle-même la soif de son fils, j’ai soif, soif de justice et de paix et soif d’amour et de vérité ; elle a vu couler du côté ouvert de son fils le sang et l’eau source de vie, d’amour, de paix, de justice et de miséricorde», explique-t-il. Il poursuit : «La justice véritable se fonde sur la vérité et doit produire la paix, l’amour, le pardon et la réconciliation et non, au contraire, engendrer la violence, la haine, la rancune, le désir de vengeance et encore moins la désinvolture et l’impunité.»

Selon l’évêque, la paix et la justice sont liées. C’est pourquoi il s’interroge : «De quelle paix parlons-nous, si elle fait fi de la justice et de la vérité ? De quelle justice, si elle ignore la vérité et l’amour du prochain ? Autrement dit, la justice véritable se fonde sur la vérité et doit produire la paix, l’amour, le pardon et la réconciliation et non, au contraire, engendrer la violence, la haine, la rancune, le désir de vengeance et encore moins la désinvolture et l’impunité. C’est bien une telle justice que le Christ nous demande de pratiquer, au-delà de celle des scribes et des pharisiens. C’est tout le chapitre 5 de st Matthieu : on vous a appris… eh bien moi je vous dis… Une justice qui concerne même et pour les purifier, les intentions les plus secrètes de notre cœur ! Voilà le chemin que le Christ nous indique. Et Marie de murmurer au creux de nos oreilles, faites tout ce qu’il vous dit», rappelle André Guèye. A l’en croire, justice et paix ne sont pas des slogans, ni des principes purement théoriques ou abstraits ni des idéaux irréalisables, «au contraire ce sont nos attitudes, nos comportements, nos manières de faire, de parler, de voir, et d’être qui doivent les incarner. Les promouvoir est une œuvre sans fin, de longue haleine, pour laquelle, nous le savons, il faut de la patience, dans le double sens de durée et de souffrance ; il faut de l’humilité et du courage, il faut surtout nous accepter les uns les autres, dans nos différences de toutes sortes et nous décider à aller dans la même direction».

Mais en plus de la culture de la paix et de la justice, le religieux invite aussi les fidèles à accepter «de changer, vraiment, radicalement, nos comportements et nos mentalités, un changement que nous appelons conversion, bien sûr avec la grâce de Dieu, cette grâce que nous puisons abondamment dans les sacrements. Je souhaite que nous repartions d’ici, un peu convertis, avec des résolutions, des petites résolutions, mais concrètes et réalistes, à travailler pour plus de paix, entre nous et dans notre pays, pour plus justice dans nos pratiques et dans les responsabilités qui nous sont confiées, et je ne parle pas seulement de ceux et de celles qui ont la charge de la justice», enchaîne-t-il. Quid des réseaux sociaux ? «Utilisons-les avec responsabilité, pour promouvoir la justice et la paix, et non pour appeler à la haine ou à la violence, pour insulter ou calomnier, pour semer la discorde ou la division. Un partage ou un transfert innocent et naïf d’une information, encore plus si elle est fausse, peut malheureusement faire éclater une bombe», regrette l’évêque de Thiès.
Par Alioune Badara CISS abciss@lequotidien.sn