Depuis de nombreuses années qu’il parcourt les profondeurs du pays pour fixer des traditions et rites singuliers, Matar Ndour a acquis une connaissance anthropologique de ces communautés.
Votre exposition s’intitule «Corps porteurs de symboles, le moi en soi». Cela veut dire quoi ?

Le corps porteur de symboles parce qu’on travaille avec Pr Abdou Ndukkur Ndao sur le thème : «Signes et symboles entre les imaginaires et la réalité.» C’est un thème très large, mais pour cette expo, j’ai choisi parmi toute ma collection d’images, de sélectionner quelques photos et de les présenter sous ce thème de corps porteurs de symboles, le moi en soi. Dans nos sociétés africaines traditionnelles, la symbolique représente beaucoup de choses. Rien n’est innocent et comme on dit, nous sommes dans une société de mémoires, mais aussi à communication visuelle où tous les éléments ont leur importance. Dans une assemblée, la manière dont les gens sont habillés, dont ils sont installés permet de savoir la responsabilité des uns et des autres. Et au niveau des cérémonies traditionnelles, l’habillement des gens, les colliers qu’ils portent, les parures et les tresses en disent long sur le rang qu’occupe la personne dans la communauté. Même si ce n’est pas au niveau traditionnel, les couleurs ont leur langage et leur code. Les objets aussi, et il faut être initié pour décoder cela.

Toutes ces ethnies que vous avez photographiées, qu’est-ce qu’elles ont en commun ?
Ce qu’elles ont en commun, c’est déjà le respect de la tradition. Mais elles ont des particularités et aussi des similitudes. Par exemple, la manière d’entrer dans le bois sacré, de célébrer l’initiation, ce qu’ils portent quand ils rentrent dans le bois et parfois même quand ils en sortent.

Le Pr Ndao disait qu’il fallait éviter de généraliser. Cela veut dire que même s’il y a des similitudes, il y a aussi des particularités ?
En Casamance par exemple, on parle de Bukut et de Kahat. Mais ce sont des types d’initiation. Pour le Bukut, ça se passe généralement dans le Blouf ou le Fogni. Dans le Kassa, généralement, c’est le Kahat. Les accoutrements sont différents, le processus d’entrée dans le bois sacré est différent, la sortie également. Mais tout a trait à l’initiation et se passe en Casamance, dans des endroits différents. Donc effectivement, il ne faut pas généraliser parce qu’il y a toujours des particularités.

En tant qu’ethno-photographe, vous fixez ces traditions dans vos photos, mais est-ce qu’elles continuent à exister encore ?
C’est tout l’intérêt de ce travail de recherche, la sauvegarde de ce patrimoine. On se rend compte que ce patrimoine est en train de s’effriter, de partir. C’est du fait que les jeunes, quand ils quittent leurs terroirs et s’installent en ville, n’ont plus envie de retourner. Et que c’est une tradition qui se perpétue de génération en génération. Quand il n’y a pas de perpétuation du processus, ça pose problème. On se situe dans cette dynamique de faire ce travail pour la sauvegarde de ce patrimoine, mais aussi pour diffuser et vulgariser le plus largement possible. Et ce qui est intéressant, c’est cette complicité entre le photographe et le socio-anthropologue. C’est vrai que le photographe veut fixer des moments, mais c’est bien que le socio-anthropologue puisse parler des éléments scientifiques pour mieux étayer les éléments de la photographie et mieux amener les gens à aller vers la recherche.

Y’a-t-il aujourd’hui des choses que vous avez fixées mais qui ont disparu ?
Il y a des choses qui sont en train de changer, mais le principe reste le même. J’ai photographié des anciens qui ne sont plus de ce monde. Par exemple, il y a un chef coutumier qui était à Bantata, le vieux Kathiamoune Keïta, qui avait 95 ans. La dernière fois que je l’ai photographié, c’était dans une cérémonie de Nianthiourangal. Et ce qui se lisait dans le visage de toutes les femmes qui étaient là-bas, parce que ce sont des cérémonies qui ont lieu tous les 4 ans, c’est est-ce que le vieux serait présent à la prochaine cérémonie. Leur inquiétude s’est avérée parce que le vieux n’a pas assisté à la cérémonie suivante. Le Niantiourangal, la fête des femmes mariées, a lieu tous les 4 ans entre Ethiouar et Bantata, où sont les plus grands villages bassaris, dirigés par un chef Keïta. Ils nous ont autorisés à accéder et à fixer ces moments, par soucis de préservation de ce rite.

Il y a deux énormes portraits du Djaraf Youssou Ndoye. Que disent ces portraits ?
Le Djaraf Youssou Ndoye est un dignitaire lébou très emblématique, très entreprenant dans cette dynamique de maintenir la cohésion de la communauté léboue. Ce qui m’a fasciné, c’est sa manière de porter ses habits, de se mettre en valeur. Et quels que soient les vêtements qu’il porte, il y a toujours ces atours qui font sa personnalité. Autour de son cou, sa canne, sa démarche. Mais ce qui est plus intéressant, c’est que ces deux portraits mettent en exergue le syncrétisme religieux. Nous sommes une société qui s’est ouverte aux religions du livre, mais avant cela, nous avions des religions du terroir. Le Djaraf appartient à la communauté tidiane, il est musulman, pratiquant, mais il garde sa tradition, tout ce qui est lié aux rites et rituels, il le garde. La photo où il est habillé en rouge et celle où il est habillé en blanc dessinent ce syncrétisme. Et c’est quelque chose de très présent dans nos sociétés africaines.
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