Micro ouvert… Oumar Sall, Groupe Afrique 30 : «Les œuvres doivent être dans des formats standards»

Les industries créatives sont une importante niche d’emplois dans nos pays. Encore faudrait-il que les productions soient de qualité. C’est l’objectif du Programme de leadership culturel mené par Oumar Sall du Groupe Afrique 30.Quel était l’objectif, en organisant une formation pour des jeunes du secteur créatif ?
On a eu un projet qu’on porte depuis longtemps. Quelque part, c’est une inspiration du Psic, un magnifique programme qui identifiait des expressions porteuses dans tout le pays, les finançait et derrière, cherchait des chargés de production pour exécuter. Et c’est comme ça qu’on a eu les groupes Misaal, Waflash, etc. Malheureusement, le programme n’a pas fait long feu et moi j’ai toujours gardé cette idée. Quand j’ai eu l’opportunité avec la coopération allemande, on a fait une première phase de formation en élaboration et gestion de projets, avec 10 petites entreprises dans chaque région. Et à la fin de la formation, deux entreprises ont été choisies pour être incubées à Dakar. L’idée étant de murir davantage les projets et continuer à les accompagner. Avec ces 10, on a continué, même après le financement, via des réseaux, plateformes digitales, à les accompagner, à monter des projets. S’ils ont des activités, j’essaie de trouver de la ressource additionnelle. Et quand la Giz a rouvert ses appels, j’ai réintroduit un projet qui était un peu la suite de ce qu’on avait fait dans la première phase. Et c’était de dire, on ne fait plus de la formation, on va faire de la production. Ils sont déjà assez outillés, ont des produits, sont dans la production donc, qu’est-ce qu’on peut amener, nous, en termes de diffusion. Là, c’est de dire qu’on va identifier dans chacune des 14 régions, deux entreprises qu’on va accompagner. Et parmi ces 28, il y a une première phase de financement avec la Giz, pour accompagner le premier spectacle. Les 14 autres seront accompagnées par la direction des Arts du ministère de la Culture. On va se retrouver avec 28 produits, aux normes et avec le minimum d’exigence scénique. Mais le plus grand challenge, c’est de dire qu’il est possible de vendre des produits sans sortir de sa région. Dans les communes, villages, les gens aiment ça. Dans la région de Fatick, la troupe Jam Bugum avec ses calebasses, en est l’illustration. Il suffit qu’il y ait une sonorisation, quelle que soit la qualité, pour que les gens viennent. Et c’est ça qu’il faut accompagner. On a identifié la compagnie de Dioffior, on va identifier un chanteur de Matam, des troupes de théâtre à Guédiawaye. Et là-bas, il suffit que les gens se mettent entre quatre murs pour un spectacle, et la salle est pleine. Mais, c’est gratuit. Est-ce que ça, on peut le commercialiser aujourd’hui ? Oui.
C’est ce processus que vous avez initié et qui va aboutir à une présentation de spectacles ?
Exactement. Là, on a commencé avec le hub de Dakar, avec 8 qui sont dans la zone de Dakar. On va travailler sur leur spectacle et continuer à le faire parce que c’est un travail dans la durée. Les œuvres doivent être dans des formats standards, pas seulement dans des formats pour le monde rural. Le format qu’ils vont avoir, peut se faire à Abidjan parce que c’est de la qualité et ça répond à toutes les exigences. Nous croyons que c’est possible.
Le problème de ces troupes, c’était donc une absence d’encadrement ?
Quand on a identifié les difficultés, en dehors des problèmes d’infrastructures ou de financement, les problèmes les plus immédiats c’est : on n’arrive pas à travailler ensemble. S’il n’y a pas de solidarité dans une région, c’est un problème, mais qu’on peut régler. Il n’y a pas de management, on ne sait pas qui fait quoi, il n’y a pas de papiers et quand on les engage, on paie individuellement, etc. Donc il y a un problème d’organisation et on peut régler ça. Les managers derrière, ils ne sont pas formés. Ce sont des problèmes qu’on peut régler en formant les managers, en formalisant les créations et en mettant en place des plateformes au niveau de la région. Même sans financement, c’est possible. Maintenant, il faut travailler sur le produit pour qu’il soit de qualité.
Cela montre un peu que les industries créatives sont un important levier pour la création d’emplois…
Nous y croyons fortement. Une compagnie de musique, c’est au moins 5 personnes. Après, il y a un manager, il faut un régisseur, faire appel à une sono, une lumière. Au moins, 10 personnes qui tournent autour de cette œuvre. Malheureusement, ces 10 personnes là, pour le moment, font ça et font autre chose. Dans certaines régions, on va te dire que la troupe ne peut pas jouer parce qu’elle n’est pas au complet. Un des membres est allé vendre au marché et il faut l’attendre. A Vélingara, on te dira qu’il est aux champs.
Cela pose la question de savoir si ces activités peuvent finalement faire vivre les artistes ?
Il ne faut pas le poser tout de suite sur la balance, ce serait une erreur. Il faudrait plutôt dire à ces gens que ce vous faites à l’instant où on est, l’économie ne vous permet pas de vous consacrer à ça à 200%, même si nous avons vu à Fatick deux ou trois groupes de musique qui, jusqu’en fin janvier, sont bookés. Mais sauf qu’il n’y a aucune organisation. Le public aime mais le manager, il sait juste qu’il a un artiste que les gens aiment et qui peut aller dans chaque localité pour jouer. Il ne connaît ni les droits d’auteurs, ni les contrats. En réalité, c’est un gros business qu’il suffit d’organiser. Dans dix ans, on va voir les résultats de ce qu’on est en train de faire. C’est une économie à long terme et il faut être patient pour accompagner cela.