Pape Badara Seck est un cinéaste de la génération qui vient juste après celle des Ousmane Sembene. Malgré son expérience, le doyen a pris part à la résidence d’écriture documentaire «Itinéraires documentaires». Plus familier des films fictions, Pape Badara Seck décortique le cinéma sénégalais qui, selon lui, est loin d’être une industrie.Génération après Sembene

«Je suis de la génération d’après Sembene Ousmane. J’ai fait mes études à l’Idhec, l’école de cinéma qui existait avant la Fémis. Paulin Soumanou Vieyra a étudié là-bas. Mon premier film de fiction, Afrique sur le fleuve du rail, je l’ai fait en Allemagne, mais l’acteur principal est sénégalais. J’ai commencé ma carrière en 1980. A la fin des années 90, j’ai été le président des cinéastes sénégalais et j’ai ouvert le premier centre de formation audiovisuelle pour les jeunes à la Médina. J’ai eu à former 80 jeunes dont Hubert Laba Ndao. A l’époque, il n’avait jamais fait de cinéma. Il était à l’Université, et aujourd’hui il est devenu un réalisateur. Maintenant, je fais surtout ce qu’on appelle le script doctor. Quand vous avez un projet et que vous voulez que quelqu’un y jette un œil professionnel, je le fais aussi bien au Sénégal que dans les autres pays d’Afrique».

Résidence Itinéraires documentaires
«Je suis dans la fiction. Mais avec le programme Itinéraires documentaires, j’ai beaucoup appris. Nous les anciens, on a une expérience au niveau des histoires et je suis venu avec une histoire. Le projet m’est apparu sous forme documentaire. Pour la fiction, on utilise notre imagination pour raconter notre histoire. Mais le documentaire, c’est affronter votre réel. Il me fallait donc les outils, la technicité du documentaire que je n’avais pas. Alors, comme je voyage beaucoup au niveau des Etats-Unis, j’ai vu les émigrés sénégalais qui sont là-bas et j’ai entendu parler de Little Sénégal. Ça se trouve au quartier mythique de Harlem. Alors, je me suis demandé comment est-ce que les Sénégalais sont arrivés à créer ce quartier à Harlem. C’est donc sur ça que j’ai travaillé. J’ai fait beaucoup de découvertes. C’est ça qui est intéressant avec les documentaires. Vous êtes obligés de faire des recherches parce qu’il faut raconter des choses réelles. Donc ce programme m’a donné la détermination de faire ce film qui est un projet qualitatif.»

Cinéma d’hier et d’aujourd’hui
«Il faut d’abord faire la séparation entre cinéma et audiovisuel. Tout est dans l’audiovisuel, mais il y a une distinction entre cinéma et audiovisuel. On peut dire schématiquement un film de cinéma est fait pour les salles de cinéma, un film audiovisuel est fait pour les écrans de télévision. Donc l’approche est différente. Et puis, il y a beaucoup plus d’exigences et de financement au niveau des films de cinéma. Alors hier, les cinéastes avaient beaucoup plus de dynamisme et d’engagement. Mais aujourd’hui, notre cinéma n’est pas bien organisé. Avant, les cinéastes tels que Sembene Ousmane et Djibril Diop Mambety parlaient d’une seule voix à l’Etat. Mais aujourd’hui, on n’a pas cela. C’est notre faute en premier parce qu’on n’est pas organisé. Ensuite pour avoir le soutien de l’Etat, c’est des galères.  On est confronté à beaucoup de difficultés pour être financé, surtout avant le Fopica quand l’Etat n’avait pas compris l’importance du cinéma aussi bien sur le plan culturel que sur le plan économique. Si l’on prend le cas de Hollywood, il rapporte plus d’argent que l’exportation de l’automobile. Mais ici, l’Etat ne met pas vraiment assez d’argent. Si l’on prend l’exemple des films comme Félicité de Alain Gomis, l’Etat a mis environ 200 millions sur 900. Pour le film de Mati Diop, sur 800 millions de budget, l’Etat a mis 100 millions. C’est un problème. Quand Alain Gomis a remporté l’Etalon d’or pour la première fois, le président de la République a dit qu’il va mettre 1 milliard chaque année. Et quand Alain Gomis l’a remporté pour une deuxième fois, le Président a promis 2 milliards. Mais les cinéastes n’ont pas encore vu cet argent. Si on respecte les règles de la production, ces films-là sont des films français parce que ce sont les Français qui ont mis beaucoup plus d’argent. Ils pouvaient réclamer cela. Mais heureusement, peut-être avec le dynamisme de nos cinéastes, on a réussi à faire en sorte qu’on reconnaisse ces films comme des films sénégalais. Mais où va l’argent des films qui génère beaucoup de recettes ? Ça va en France parce que l’argent revient aux producteurs français qui ont mis leur argent. L’enjeu est dans le financement des films. Il faut qu’on essaye toujours d’être dominant dans la production. Ça rapporte de l’argent qui peut encore financer le cinéma.»

Fonds Force Covid-19
«Pour le Fonds Force Covid-19, on a eu une aide de l’Etat quand même. Mais on a trouvé que ce n’était pas suffisant. Les cinéastes comme moi, qui ont travaillé pendant des années et posé les fondamentaux du cinéma avec les Sembene, leur donner 900 mille francs, on ne peut pas tourner un film avec ça. C’est très peu. Ceux qu’ils ont classés comme producteurs ont reçu 3 millions de nos francs. Moi je suis producteur, pourquoi ne me classe-t-on pas comme producteur ? Voilà le problème. Il y en a d’autres qui ont eu 700 mille francs, d’autres ont reçu 400 mille francs. Moi, on me dit qu’on ne me connaît plus comme réalisateur. Si je ne produis pas assez souvent, c’est parce qu’il y a des problèmes de financement. J’ai une carte professionnelle où il est mis producteur et réalisateur. Pourquoi ils me reconnaissent comme réalisateur pour me donner 900 mille francs ? On ne nous a rien dit sur la seconde enveloppe. Ils ne parlent pas de cinéaste, ils parlent des acteurs culturels.»

Industrie ciné­matographique
«Une industrie, c’est quand la machine tourne continuellement. Ce qui se passe, c’est qu’on est à l’état artisanal. Il n’y a pas d’industrie. L’industrie c’est Hollywood qui est la deuxième puissance de production de film de fiction du monde. Là, on peut parler d’industrie. On peut parler d’industrie à Nollywood et à Bollywood en Inde.»