Micro’Ouvert – Massamba Mbaye, commissaire du Salon des arts visuels : «Le thème «Benn Bopp» n’est pas un enfermement mais une ouverture»
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La onzième édition du Salon national des arts visuels se tient à Dakar du 17 juillet au 17 août 2023. Commissaire de l’exposition et président du comité de sélection, le critique d’art Massamba Mbaye explique l’importance de ce rendez-vous pour l’art contemporain sénégalais. Evoquant le thème de l’édition, «Benn Bopp», M. Mbaye estime que les artistes ont cette capacité de préfigurer de ce que nous sommes en train de devenir et ce que nous allons devenir.Propos recueillis par Mame Woury THIOUBOU – Le Salon des arts visuels réunit tout ce qu’il y a comme création contemporaine. Quelles ont été les dynamiques derrière ?
Le salon est né dans ces conditions historiques de valorisation du potentiel artistique sénégalais. A l’époque, c’était pour montrer que les Sénégalais étaient dans la mouvance de l’art contemporain mondial. Le premier salon est né dans ces conditions, et ça a été renouvelé de manière irrégulière. Mais le principe du salon, c’est de montrer ce qu’il y a de plus représentatif en termes de pratiques plastiques, esthétiques au Sénégal. Et c’est le résultat qui doit attester de cela. Etonnamment, cette année, on s’est retrouvés avec un grand cru, une représentation générationnelle. Des plus anciennes aux plus jeunes sont représentées. Au-delà, c’est l’extrême diversité créatrice parce qu’on a quand même de la sculpture, de la céramique, de la sculpture sur fer, de la peinture, de la photographie, en somme une palette assez intéressante de supports techniques aussi pour driver le senti fondamental de ces artistes. Cette édition est intéressante aussi parce que le thème, Benn Bopp, renvoie à quelque chose qu’il faudrait inscrire dans l’impermanence. Parce que justement, le propre de ce qui nous lie, ce ne sont pas les conjonctures, qui sont limitées dans le temps, mais cela même qui, historiquement, a fait que progressivement nous sommes devenus sénégalais. Parce que je pense que nous sommes devenus sénégalais officiellement à partir de 1960, mais le Sénégal est antécédent à ce moment. Ce qui va faire notre situation actuelle, c’est la conjonction de tout ça, aussi bien sur le plan des ethnies que des étrangers, hôtes qui vivent parmi nous et qui font que le Sénégal est le Sénégal. Donc, le thème n’est pas un enfermement mais une ouverture, parce qu’il est de la fonction essentielle de toutes les civilisations et toutes les cultures d’être dans une dynamique, et cette dynamique d’ouverture n’occulte en rien la part fondamentale qui traverse historiquement, quotidiennement et va sûrement traverser nos projections. Et cette exposition renvoie à tout cela. Les artistes travaillent dans un domaine social, sociologique et économique précis, et c’est ça qu’ils vendent. Les artistes ont aussi cette capacité de préfigurer de ce que nous sommes en train de devenir et ce que nous allons devenir. Et tout cela est questionné à partir du thème et de l’exposition Benn Bopp. On peut dire que ça a une consonance politique au sens de gestion de la cité, mais aussi une consonance logique. Un être humain avec deux, trois ou quatre têtes est une chimère ou un monstre. Cela a aussi une résonnance sociologique dans le thème parce que les artistes vivent dans la société, économique également parce qu’on ne peut pas sortir des logiques économiques au sens marxiste du terme, de tout ce qui est en train de se faire actuellement. C’est tout cela, mis ensemble, qui fait Benn Bopp.
Il y a une diversité d’expressions. Est-ce que du point de vue esthétique, cela se reflète dans l’exposition ?
Je le présume. Parce que nous, le comité de sélection, avons été assez impressionnés par la qualité des œuvres proposées, par leur diversité. Et cela a rendu difficile notre choix. Maintenant, est-ce que ce qui a été proposé est fondamental ? Je ne le sais pas. Je pense qu’il appartient aux visiteurs de venir voir la diversité des vibrations qui entourent et nimbent cette exposition. Mais on a aussi choisi trois artistes, deux précurseurs, Iba Ndiaye et Pape Ibra Tall, car c’était important dans la dynamique Benn Bopp qu’on les montre par ce qu’ils ont été et qu’ils ont fait école. On a rendu hommage à Aïcha Aïdara, et on aurait voulu rendre hommage à Ndoye Douts également, mais malheureusement il est décédé au moment où on avait fini de monter l’exposition. Mais en dehors de ces trois artistes, tous les autres ont souscrit volontairement et cela montre l’importance que les artistes donnent à ce salon, et je pense qu’il est essentiel et fondamental de les écouter et de les entendre.
Est-ce que l’art visuel sénégalais s’exporte bien sur le marché international ?
D’autres pays d’art comme le Nigeria et l’Afrique du Sud ont été plus ajustés par rapport aux logiques du marché. Le marché international parle un peu anglais, pour ne pas dire une grande partie. Mais les Sénégalais comprennent très vite et ils sont en train de s’ajuster d’autant plus qu’il y a des galeries qui portent davantage, des tourneurs qui viennent, et si on y ajoute la Biennale, qui est une plateforme de monstration, ce sont autant d’initiatives qui font que ces artistes, de plus en plus, s’affirment sur le plan international en termes de cotation, de vente et en termes aussi de circulation.