Micro’Ouvert Naïssam Jalal, artiste : Les rituels de guérison

Un autre évènement, plus intimiste, se tenait dans l’écrin des luxuriants jardins Jnan Sbil, où se déroulent également les nuits soufies, interprétées par des chanteurs marocains. La flutiste Naïssam Jalal, exploratrice du souffle de l’âme, jouait avec ses musiciens et, dans le cadre du festival, avec des joueurs de gasba marocains, son nouvel album, Healing Rituals (Rituels de guérison). Un moment suspendu et apaisant dont elle nous a parlé avec douceur.Quest Of The Invisible était déjà lié à une quête mystique. Pour quelles raisons avez-vous voulu composer ces huit rituels de guérison ?
J’ai composé ce répertoire de guérison imaginaire parce qu’on vit dans un monde tellement violent qu’on souffre et qu’on a besoin d’un refuge où se guérir et se sentir bien. Dans ce refuge, je peux accueillir autant de gens que je veux. Il n’y a pas de mur, pas de frontière, il ne demande pas de visa. C’est un répertoire qui tend à une guérison du corps et de l’esprit, car le seul moyen qu’on a de toucher l’esprit dans cette vie, c’est à travers le corps. J’essaie de toucher les âmes et les esprits en passant par les oreilles.
Quel a été son point de départ ?
J’ai été très malade il y a quelques années, j’ai passé du temps à l’hôpital et à un moment donné, quelqu’un est venu jouer dans ma chambre et cela m’a fait énormément de bien. Plus tard, j’ai voulu donner ce que j’avais reçu. Donc j’ai été jouer à l’hôpital, pour des patients en oncologie, en soins palliatifs aussi… D’autre part, cela fait des années que des spectateurs me disent à l’issue de mes concerts, que ça leur a fait du bien et qu’ils ont pleuré. Avec la musique, j’ai la possibilité de faire du bien aux gens. Moi-même, elle me fait du bien.
Par quelles musiques étiez-vous influencée ?
Je m’inspire beaucoup de la musique classique arabe et d’Inde du Nord dans laquelle il y a aussi beaucoup de silences. Les musiques de transe aussi, comme le zar en Egypte, le diwan en Algérie, le gnawa au Maroc. Des musiques où l’on considère qu’il n’y a pas de guérison sans libération de la personne qui souffre.
Le disque et le concert sont traversés par différentes stations : rituels de la terre, de la lune, du soleil, etc., et le rituel du vent sur lequel sont invités les joueurs de gasba. Pour quelles raisons ?
Lorsque j’étais à l’hôpital, j’avais besoin de paix, de beauté, de silence. Et je me suis rendu compte que très souvent, quand je ne vais pas bien, certains éléments de la nature me nourrissent et me redonnent une certaine énergie, notamment la rivière. Le mouvement de l’eau. Dans la langue française, on dit : «Laisse couler.» Et en fait, la rivière nous rappelle que tout passe. Il y a aussi le rituel de la forêt, me balader dans les sous-bois, admirer la lumière à travers les feuillages, entendre les chants des oiseaux, sentir l’odeur de la terre mouillée, ça me fait énormément de bien. Cela faisait sens d’inviter les joueurs de gasba sur le rituel du vent. C’est un instrument que j’aime beaucoup. Comme le nay, c’est une flûte de roseau, mais le répertoire que l’on joue au nay est classique alors que celui de la gasba est traditionnel et ancestral, dans une dimension plus populaire. On le joue surtout à plusieurs. Ce n’est pas le même imaginaire, ni les mêmes géographies et les mêmes paysages.
Ces rituels de guérison, quelle dimension prennent-ils dans ce festival de musiques sacrées ?
Je rêve depuis des années d’y jouer. Fès me fait énormément penser à Damas, dans l’esprit, dans la forme, dans les constructions. Par ailleurs, cela a beaucoup de sens pour moi car je trouve que, dans le jazz et les musiques occidentales de manière générale, on a complètement laissé tomber la spiritualité. Ce rejet du spirituel est lié à notre époque, très matérialiste, où ce qui compte c’est d’avoir et non pas d’être. Donc, on a tendance à considérer que ce qui est spirituel n’est pas réel et à croire à ce qui est matériel. Je ne crois pas trop au sacré, je crois au divin. Le sacré est une norme et le divin est une source. Ici, le public est perméable à la spiritualité.