Propos recueillis par Mame Woury THIOUBOU – Après avoir parcouru le monde, vos séries rentrent à Dakar. Quelle signification cela a pour vous ?

C’est une grande fierté pour moi de pouvoir montrer ces œuvres ici à Dakar. Surtout dans les mêmes conditions qu’à New York ou à Paris. Ça montre aussi toute la vivacité du secteur artistique sénégalais. Pas besoin de faire une exposition au rabais, il y a des imprimeurs qui font des tirages de qualité et des équipes techniques qui arrivent à faire des montages comme au Grand Palais ou au Brooklyn Museum. Mon amour de la photo est venu d’expositions comme ça. Il y a peut-être 10, 15 ans, après les cours ou le boulot, je venais voir des expositions. La photo est une forme d’art assez accessible. Du moins le côté technique. Moi par exemple, mes premiers rudiments, la partie purement technique, je l’ai apprise sur YouTube. Et ensuite avec des amis photographes qui me montraient des astuces. C’est une forme d’art qui est plus accessible que la peinture par exemple où il faut déjà un certain don et ce n’est pas tout le monde qui est bon en dessin. Et puis la photographie m’a permis d’exprimer un point de vue. On est dans le monde de l’image et les images, on sait quand on les créée et on ne sait jamais où elles finissent. Elles circulent et toute chose qui est photographiée ici peut être vue n’importe où dans le monde, potentiellement la seconde d’après. C’est comme ça que la photo s’est imposée comme forme d’art pour moi. Et c’est une tradition aussi. Je viens d’une famille sénégalaise où on a toujours eu un album-photos et où aux dates importantes, on va se faire prendre en photo pour la postérité, pour l’histoire. Je me considère un peu comme l’enfant des Mama Casset, Seydou Keïta, Malick Sidibé.

Quand vous entrez dans cette salle d’exposition, même si vous dites qu’il ne faut pas vous voir dans ces images, c’est quand même vous. Quel effet ça fait ?
Après un certain temps, et c’est très sincère, je ne me vois pas, je vois ces personnages-là. Parce qu’en fait, ce n’est pas une exposition sur moi. Il n’y a rien ici qui parle de moi. C’est juste que je m’utilise. C’est une information que je ne peux pas oublier, mais ç’aurait pu être moi. Je suis juste né dans un contexte diffèrent mais si j’avais deux ans sur l’île de Gorée en 1746, j’aurais fini sur une caravelle et je serais devenu un esclave. C’est une façon importante pour moi de me connecter à mon passé en tant qu’homme noir parce que c’est le seul moyen pour moi d’avancer dans le futur la tête haute. Je suis issu d’un peuple qui nourrit le monde depuis toujours. Je suis beaucoup plus que Oumar Victor Diop. Je suis un membre d’une communauté qui est essentielle, qui est à la base d’une civilisation qui est à la base de toutes les autres civilisations, un continent qui a donné à tous les autres continents et qui donne encore. On marche beaucoup plus droit dans ses bottes quand on sait qui on est. On sait qu’on n’est pas seul et qu’on est accompagné de tant d’histoire et de grandeur.

Prendre l’image et en faire une appropriation historique, comment ça se décline ?
C’est un long processus. Le premier roman que j’ai lu, c’est Segou de Maryse Conde qui parlait de cette noble famille bambara, les Traoré, dont tous les garçons ont été disséminés dans le monde. A Haïti, aux Etats-Unis, en Europe, la variété des destinées et ce que leur descendance a donné. Toutes ces choses-là étaient en moi et ont abouti à ce que je me considère être, c’est-à-dire une espèce d’ambassadeur et de troubadours de qui nous sommes.

Après cette exposition, vous comptez vous consacrer plus au présent et au futur. Laisser le passé…
On ne laisse pas le passé. Je ne pense pas que ça soit difficile, surtout dans notre vision africaine de la chose. Les actions d’aujourd’hui sont la base de ce qui se passera demain. J’ai juste envie de voir où nous en sommes et d’appliquer ce regard que j’ai sur le peuple, a d’autre thèmes comme l’écologie. Quand on parle d’écologie, on s’imagine rarement un noir sur une affiche qui traite de la biodiversité. C’est une conversation où on n’est pas assez présent et j’ai envie d’explorer ces thématiques-là. Il ne s’agit pas d’oublier qui nous sommes ou d’où nous venons, mais de l’appliquer à des thématiques différentes.

Vous ne déterminez pas votre cote mais vous savez quand même que vos œuvres sont un peu inaccessibles pour le commun des Sénégalais ?
C’est tout le mal que je me souhaitais mais je suis en train d’explorer d’autres façons de permettre aux gens d’acquérir mon travail. On va bientôt sortir un livre qui est en cours de production. Peut-être sur certaines images, on va explorer des types de tirage qui sont moins onéreux. Mais après, je fais partie d’une industrie qui est déterminée par des codes et moi, simple artiste, je ne peux pas toujours changer les choses.
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