C’est au moment où Dakar tremble de peur face à la recrudescence des assassinats visant des femmes que sur l’île de Ngor, son lieu de création, Abdoulaye Diallo, le Berger, a choisi de décliner sa vision du thème de cette biennale : «I Ndaffa #» (Forger). «Taxawaalu» s’est ainsi décliné à travers l’histoire de cette princesse peule, Fatimata Baba Lobo, contée par la styliste Oumou Sy, mais aussi à travers quatre œuvres dédiées à la femme et à la fille. Une façon pour l’artiste d’inviter à mieux investir sur la femme.Propos recueillis par Mame Woury THIOUBOU (mamewoury@lequotidien.sn) –Pour cette biennale, vous avez choisi d’organiser un programme spécial «taxawaalu» sur l’île de Ngor. Quel message souhaitiez-vous donner ?
J’étais tellement heureux de voir que le thème de cette biennale est celui qui avait été retenue en 2020, «Forger». J’ai l’habitude de dire que «Forger» est un mot français. I Ndaffa a une autre tonalité, une autre puissance et j’ai souvent voulu inviter les plus jeunes à aller vers le livre du Colonel Mouhamadou Lamine Sarr, qui traite de l’éducation du jeune sérère Niominka pour réellement sentir toute la force de ce mot-là. Naturellement quand on parle de forger, je pense systématiquement à forger les cerveaux. Un cerveau mal meublé ou non meublé pendant qu’on meuble son salon, peut être très dangereux pour une nation. Si nous voulons éviter à notre pays de vivre une certaine pauvreté, une certaine tristesse, il faut apprendre à penser meubler les cerveaux des enfants. Ça, c’était ma première préoccupation. La deuxième, c’était la place de la femme. J’ai dit que nous gagnerions à mieux investir et sur le talent et sur la femme. Parce qu’il s’agisse de problèmes de scolarité, de problème social, en général, tout passe par la mère. Il nous faudrait repenser l’éducation de la mère. Et je ne peux pas comprendre que dans ce monde où l’homme a tendance à tout dominer, pourquoi il ne chercherait pas à entendre et attendre celle à qui on a confié la plus belle des industries au monde, la fabrique de l’humain. Cette fabrique de l’humain se trouve dans le ventre de la femme et je ne peux pas comprendre que dans nos pays, on ne puisse pas continuer à investir sur cette femme qui est au début et à la fin de tout. C’est la raison pour laquelle j’avais décidé de participer à ce off, mais en dédiant mon exposition à la femme et la fille. En faisant quatre œuvres, naturellement La fille, L’épouse, Madame je m’incline et au-delà de ça, poser La question de la décision, que je trouve être la chose la plus angoissante.
On est dans un contexte où des femmes sont assassinées pendant que les politiciens se chamaillent parce qu’ils refusent de respecter la parité. Pensez-vous que nous soyons dans un pays qui respecte les femmes ?
Moi, je respecte la femme. C’est peut-être parce que j’ai été éduqué pour respecter la femme. Je respecte la femme parce que je dois énormément à ma mère. Je n’oublierai jamais que mon père voulait que je devienne imam. C’est ma mère, analphabète, qui, sans oser élever la voix devant mon père, avait décidé d’accompagner son fils pour qu’il puisse faire des études. Et c’est ainsi que j’ai pu faire mon entrée en sixième et mon bac avec une année d’avance, et faire des études supérieures pour devenir ce que je suis devenu, un peintre. Je vis entouré de femmes, j’aime mon épouse, je suis monogame, c’est ma patronne et j’ai trois filles et un garçon. C’est comme si ma vie était ponctuée par la présence des femmes et je ne peux pas ne pas en parler. J’ai l’habitude de dire, n’eut été le péché originel, le problème de l’humanité ne se serait pas posé. Adam et Eve ne seraient pas sortis du paradis. C’est un indicateur très fort parce que nous devons cette humanité à Eve. Je dis aussi, c’est le Créateur qui a choisi. Il aurait pu choisir le ventre de l’homme, du chat, etc. Il a choisi volontairement le ventre de la femme pour cheminer avec elle pendant 9 mois, créer ce qu’il considère être ce qu’il aime le plus, ce qu’il a de plus cher au monde, l’humain. Cette industrie qui se trouve dans le ventre de la femme, est une industrie qui est tout le temps productrice de revenus et de dividendes. Si on ne le juge que par rapport au résultat, pourquoi ne pas réfléchir par rapport à cela : donner à la femme la place qu’elle mérite et cesser de passer sa vie à vouloir coûte que coûte en faire un objet, une victime de ceci ou cela.
Dans la représentation de Oumou Sy aujourd’hui, il est surtout question de figures de femmes fortes de notre histoire. Mais on a l’impression qu’il y a eu une césure quant à la représentation de cette femme…
C’est parce que tout simplement, on nous a tellement mis dans la tête que la femme est faible, qu’on a tous fini par croire que la femme ne peut qu’être faible. Je le dis tout bas, quel que soit le roi de ce monde, le président le plus puissant, je ne suis pas sûr que les grandes décisions de ce monde ne se prennent pas le soir, quand il est seul avec son épouse.