Quelques années après le déclenchement de la crise dans le Nord Mali, la situation est toujours ambiguë à Gao. A la lutte pour la libération de la ville ont succédé des revendications plus citoyennes. Dans cet entretien, Kassim Sanogo décortique les facteurs qui retardent une installation définitive de la paix.
Depuis que le film a été fait, quelle est la situation à Gao ?
Le film a été terminé en juin 2018. Je suis retourné au Mali pour présenter le film en janvier-février dernier. Les populations de Gao ont bien accueilli le film mais ils disent qu’elles sont toujours dans ce combat. Elles ont fini le combat avec les djihadistes, les indépendantes du Mnla et elles sont maintenant en combat avec l’Etat malien. Parce que malgré tous les combats qu’elles ont menés pour la libération de la ville, Gao n’est pas sécurisée. Et elles, elles ont appris à vivre avec le danger, elles se sont habituées à voir le danger, les chars dans leurs rues et à entendre des attentats suicides dans leur ville mais elles n’ont pas arrêté de vivre.
Dans tout le film, on sent qu’il y a une fracture entre le Sud du pays et le Nord qui se sent délaissé par les autorités maliennes. Est-ce le cas ?
C’est ce qu’elles disent dans le film parce que les populations du Sud pensent qu’elles sont de mèche avec les djihadistes et les rebelles, et les populations du Nord pensent que les populations du Sud gèrent mal le pays. Les gens du Sud pouvaient aussi revendiquer un État Songhaï parce qu’ils sont beaucoup plus proches de Niamey au Niger que de Bamako, mais ils ont décidé d’appartenir au Mali. Donc, ils sont en train de se battre pour appartenir au Mali parce que c’est un peuple qui a également une histoire.
Justement, on les sent sur la défensive. Ils éprouvent le besoin de justifier leur position pendant ce conflit ?
Oui parce qu’ils ont envie de démontrer qu’ils appartiennent vraiment au Mali. Et ce qui n’est pas vraiment bien compris par les autres populations du reste du Mali. Du coup, ils sont sur la défensive, mais ils sont aussi très fiers. C’est un peuple qui a une histoire. Gao a été la capitale d’un des plus grands empires de l’Afrique de l’Ouest, l’Empire Songhaï. Et eux ont toujours cette mentalité de dire qu’ils sont un peuple fier. C’est pour ça qu’ils n’acceptent pas de domination extérieure. Ils n’ont pas attendu une armée pour se libérer. Ils se sont mobilisés eux-mêmes pour se libérer et ils sont toujours en train de se battre pour appartenir à un état.
Aujourd’hui, ils revendiquent que l’Etat malien reconnaisse ce qu’ils ont fait et leur accorde de la place dans les instances de décision ?
Oui, c’est ce qui est compliqué pour eux. Quand les armées française et malienne sont arrivées pour libérer la ville, ils sont allés à la table de négociation. Et à cette table de négociation, il n’y avait que les groupes armés. Et toutes ces populations qui n’avaient pas d’armes, les civils, étaient exclus. C’est cela maintenant le combat que ces gens mènent avec le gouvernement malien pour pouvoir aussi participer aux négociations. C’est ce que dit Moussa Boureima, l’un des leaders de la resistance. Les populations civiles doivent être parties prenantes dans ces pourparlers.
Quelque part, on les a dépossédés de leur rôle ?
C’est ça. Parce qu’eux avaient confisqué des armes aux djihadistes et aux indépendantistes. Mais quand les armées sont venues, ils ont rendu ces armes. Maintenant, au moment de négocier, on leur a dit qu’on ne négociait qu’avec les gens qui avaient des armes.
Et comment est-ce qu’ils vivent le fait qu’à un moment donné, ils se sont rangés du côté du Mujao contre le Mnla ?
Ce n’était pas un combat où il y avait les bons contre les méchants. Il y avait les indépendantistes qui voulaient la division du pays et les djihadistes qui voulaient imposer la charia. Les populations de Gao ne pouvaient pas lutter contre ces deux groupes à la fois. Ils ont été stratégiques. Ils se sont d’abord rangés aux côtés des djihadistes pour chasser les indépendantistes et une fois que cela a été fait, ils se sont mobilisés pour chasser les djihadistes.
Pourquoi vous avez eu envie de faire ce film ?
C’est un devoir de génération de faire ce film. Il n’est pas donné à tout jeune malien de ma génération de faire du cinéma. Pour moi, c’était un devoir de mémoire de faire un film sur cette page sombre de l’histoire du Mali. Pour qu’on sache au moins ce qui s’est passé à un moment.