MICR’OUVERT… Lucien Mendy, maître de chœur, secrétaire général de la Confédération africaine de musique chorale : «Rien que dans la région de Dakar, j’ai recensé 300 chorales»
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300, c’est le nombre de chorales que compte la capitale sénégalaise. Un chiffre qui dit la passion que suscite cet art que certains assimilent à un art religieux. Mais ce dynamisme ne cache pas les grosses difficultés que rencontrent les troupes pour vivre de leur art. Lucien Mendy, secrétaire général de la Confédération africaine de musique chorale, évoque quelques-uns de ces obstacles en marge du salon Dakar music expo (Dmx) qui s’est tenu à Dakar il y a quelques jours.
Comment se porte le chant choral au Sénégal ?
Au niveau du secteur de la musique chorale au Sénégal, nous avons un problème de rapport en termes de professionnalisme. C’est une musique d’essence amateur qui est surtout exercée dans les églises, pas encore dans les autres secteurs comme les écoles, les quartiers, les entreprises comme ça se fait ailleurs. Et malheureusement, le secteur souffre d’un manque de professionnalisation. La pratique reste encore amateur. On croise le fer aussi avec le marché de la musique parce qu’on ne nous laisse pas beaucoup de place. La musique chorale a une connotation religieuse alors que nous par exemple, depuis qu’on a créé le mouvement panafricain, développons une musique qui s’appuie sur le patrimoine culturel africain autochtone, des différentes ethnies du Sénégal, que nous essayons de transcrire sur des partitions afin de les produire sur des scènes et qu’elles puissent traverser le temps puisque nous sommes dans une ère de modernité où vous n’existez pas au niveau de l’électronique, des plateformes numériques, vous n’existez pas. La troisième difficulté, c’est la circulation des artistes. En général, quand vous parlez de chorale, c’est toujours de grands groupes, entre 20, 30, 50 personnes. Et pour faire circuler ces personnes-là, on est confronté à des problèmes de visa quand on dépasse l’écueil financier qui est souvent très problématique. Au niveau des subventions, on les accorde à tout ce qui est activité au plan laïque. Mais quand il s’agit d’activités religieuses, les pouvoirs publics ne peuvent pas intervenir. Donc, non seulement le problème de la diffusion dans des plateformes, mais aussi celui au niveau des publics et des salles qui soient en mesure de recevoir ces salles. Aujourd’hui, nous sommes vraiment satisfaits qu’il puisse y avoir quelque chose comme le Dmx pour nous permettre de confronter nos expériences aux autres formes de musiques comme celle urbaine. A travers cet échange, on espère s’inspirer des expériences réussies qu’ils ont pu mener pour booster encore plus la musique chorale.
Et la solution serait d’amener la musique chorale dans les lieux de spectacle…
Même au niveau de l’église, les chorales ont déjà un public. Mais c’est un public restreint. Il n’y a pas que la forme du chant choral en termes de répertoire religieux. Il y a aussi le répertoire profane qui est beaucoup plus vaste et qui nous parle plus parce qu’il nous permet de nous enraciner davantage dans nos cultures, de pouvoir la porter et la vendre par rapport à la globalisation, et de pouvoir la défendre aussi dans ce dialogue des cultures dont parlaient feu le Président Senghor. Dans cette calebasse de la mondialisation, il serait bien aussi que nous, Africains, puissions apporter notre spécificité et notre diversité. Et ça, c’est un devoir pour chacun de travailler à collecter le patrimoine chanté local, à essayer de lui faire traverser le temps.
Combien de chorales y a-t-il au Sénégal ?
On est en train d’y travailler. L’année dernière déjà, on m’avait posé la même question et j’avais recensé, rien que dans la région de Dakar, 300 chorales. C’est vous dire qu’au niveau du Sénégal, si on multiplie par une moyenne de 50 choristes, vous voyez ce que ça fait. Et avec l’intérieur du pays où on a des chorales qui ne sont pas très connues ou moins formelles, vous pouvez imaginer le grenier d’artistes et le marché que cela pourrait permettre de développer en termes de valeur ajoutée au Produit intérieur brut (Pib).
Au niveau de votre confédération, est-ce que vous avez des projets pour vulgariser le chant choral ?
Cela a toujours été notre objectif. Déjà, nous avons travaillé à la formation des acteurs en travaillant à la formation des formateurs. Les chorales sont toutes dirigées par des chefs et le métier de chef de chœur n’est pas en tant que tel reconnu au Sénégal. Il n’est même pas enseigné à l’Ecole des arts. Donc les gens apprennent par imitation, par mimétisme. Nous avons fait intervenir des spécialistes qui sont venus de l’Europe avec la Fédération internationale de la musique chorale pour qu’ils puissent piloter des stages et on a pu former une cinquantaine de chefs de chœur pour leur permettre de connaître les bases de la direction de chœur parce que ce ne sont pas seulement les aspects techniques. Il y a aussi les aspects pédagogiques et humains, en termes de gestion d’effectifs, de ressources humaines.