Pour Le Quotidien, Seydou relate ici cette aventure dans l’aventure qui a été la sienne depuis sa rencontre avec un maître italien du 7e art nommé Matteo Garrone, quelque part entre Thiès et Dakar.Comment et où a commencé l’odyssée qui t’a porté de Dakar à Venise, où tu as reçu le Prix d’interprétation masculine de la 80e Mostra, ici sur l’île du Lido ?
Tout a débuté par une audition à Thiès, où je me suis retrouvé dans une file de plus d’une centaine de candidats. J’ai fait un bout d’essai, convaincu que je n’avais aucune chance. A ma grande surprise, quelques jours plus tard, on m’a appelé pour me dire que je devais me rendre à Dakar. Matteo Garrone et Moustapha Fall, l’autre héros du film, m’y attendaient. Nous avons réalisé un nouvel essai, ensemble cette fois, Moustapha et moi. Je dois dire que depuis, nous sommes deux amis.
Tu avais déjà fréquenté un plateau de cinéma ou joué devant un objectif ?
Jamais. C’était mon premier «clap». Motivé par ma mère, j’ai suivi des cours de théâtre, mais j’avoue que c’est une autre histoire que de se sentir en confiance sous l’œil d’une caméra. Pourtant, à un moment, quelque chose dans mon esprit m’a fait comprendre qu’il s’agissait sans doute d’un film sérieux, un grand film peut-être, que j’en étais un protagoniste et que je devais donc être à la hauteur. C’était comme un déclic. Alors, j’ai surmonté mon appréhension. Evoluer devant l’objectif est devenu naturel ou presque. Je dois dire que l’expérience m’a plu énormément.
As-tu jamais songé personnellement à émigrer en Europe, à l’image de ton personnage ? Connais-tu des jeunes comme toi qui étaient candidats ou bien se sont risqués dans cette «mortelle randonnée» ?
Moi-même, je n’ai jamais songé à partir. Avant de tourner, comme la plupart des jeunes de mon âge, j’étais partagé entre mes études et le foot, mon rêve de gosse étant, avant tout, de devenir professionnel de foot. Entreprendre un tel voyage n’avait jamais figuré dans mes projets, même inconscients. Comme tout le monde, j’ai souvent entendu parler à la télé des drames qui en découlent fréquemment. Mais j’avoue qu’avant de les appréhender au travers d’un film qui les relate de manière documentaire et sans voile, je n’avais aucune conscience véritable des risques et souffrances que pouvait représenter une telle traversée du désert et de la mer, parsemée d’atrocités et de tragédies sordides.
Lors de la présentation de Io Capitano, dans un contexte italien où la lutte contre l’immigration est un des piliers d’un gouvernement situé à droite de la Droite, le réalisateur Matteo Garrone a parlé de «violation des droits humains» concernant ces jeunes contraints à risquer leur peau pour voyager. Qu’en penses-tu ?
Je suis, bien sûr, d’accord avec lui. Après tout, pourquoi les jeunes Européens peuvent-il voyager librement, là où ils en ont envie, y compris passer des vacances au Sénégal, et pourquoi nous, jeunes Africains, devrions nous jouer notre vie dans l’autre sens ? Je souhaite que les jeunes Occidentaux en général, aient conscience de la chance qui est la leur et qu’on nous accorde à nous, des visas.
Quelle scène a été la plus difficile à interpréter et laquelle a été la plus jubilatoire pour toi ?
La plus éprouvante ? Celle que nous avons tournée dans le désert marocain, où une femme, qui n’a plus la force de marcher, se meurt dans mes bras. Heureusement, c’était du cinéma, mais je l’ai ressenti comme s’il s’agissait d’une de mes trois sœurs… Le plus grand moment d’émotion, partagé cette fois pas toute l’équipe du film au moment du tournage, reste dans ma mémoire celui où je hurle au vent de la Méditerranée «Io capitano», «le capitaine du bateau, c’est moi». Ce cri est, je pense, venu du fond de mes tripes.
Quel type de rapport Moussa et toi entreteniez-vous avec M. Garrone ?
Matteo, je l’adore. Notre relation est aujourd’hui celle d’un lien quasi filial. Matteo était toujours présent à nos côtés, sur le plateau comme dans la vie. Nous avons vécu, Moustapha et moi, près d’un an chez sa maman à lui. Elle nous a choyés comme ses propres enfants. Et enfin, grâce au soutien de Matteo, j’ai pu être opéré et soulagé d’une maladie oculaire qui me faisait souffrir. Je lui dois beaucoup et je ne lui exprimerai jamais assez ma gratitude. En plus, Matteo m’a appris à m’exprimer librement, sans peur ni contrainte, tellement il tenait à ce que nos émotions, à Moussa et moi, vibrent en toute spontanéité sur la pellicule où nous échangeons en wolof, notre langue maternelle.
A qui dédies-tu ton prix ?
A ma mère, et aussi à mon père décédé récemment, hélas. Nous étions liés, lui et moi, par une très grande complicité. J’étais son seul héritier mâle… Ma mère et mes trois sœurs (dont une vit à Naples, Ndlr) ainsi que des cousins, ont fait le déplacement à Venise pour la cérémonie. Maman ne parvenait pas à retenir ses larmes. Elle fait pas mal de théâtre en amateur, et elle chante merveilleusement. Elle m’a enseigné le chant et le goût de la musique. Je lui dois sans doute encore plus que je ne le pensais avant ce prix.
Ce prix porte le nom prestigieux de Marcello Mastroianni. Tu as déjà vu des films dans lesquels cet immense acteur italien joue ?
Non. J’avoue que je m’intéressais auparavant surtout au cinéma type Rambo. Mais après mon séjour à Venise, je suis très avide de découvrir ces films. Plus que jamais, désormais j’éprouve le désir de devenir un acteur moi aussi.