Dans son long métrage «Au cimetière de la pellicule», le réalisateur guinéen part à la recherche de ce qui semble être le premier film du cinéma guinéen. «Mouramani» de Mamadou Touré a été tourné en 1953 en France. Depuis, le film a disparu et la recherche de Thierno Souleymane Diallo prend l’allure d’une croisade pour le cinéma de son pays et celui du continent, où les salles restent fermées et où le streaming, l’absence de fonds, d’infrastructures et de financements plombent le secteur. Le film a été diffusé dans le cadre du Festival international du film documentaire de Saint-Louis.Dans votre film «Au cimetière de la pellicule», vous allez à la recherche du premier film guinéen, Mouramani, qui date de 1953, bien avant «Afrique sur scène», que l’on présente comme le premier film africain. Comment en est-on arrivé à ce que personne ne retrouve ce film aujourd’hui ?

Ce qui est sûr, c’est que le film se retrouve dans pas mal de documents. Par exemple, dans le dictionnaire des cinémas d’Afrique et sur pas mal de sites, où le film est référencé. Tout le monde a entendu parler de ce film, mais personne ne l’a vu. Dans ma quête, j’ai retrouvé un article paru dans le journal Le Monde en 1953 qui parle de ce film. Au-delà de tout ce qu’on a raconté, mythe ou pas, c’est un film qui a existé, qui a été tourné à Paris dans le bois de Vincennes en 1953 avec trois acteurs, Mamadi Touré, Fatou Martin et Jose Vanoukia. Aller à la recherche de ce film, ce n’était pas forcément le retrouver, mais plutôt soulever des ré­flexions sur le cinéma, sur l’archivage des films, sur ce qu’est devenu aujourd’hui le cinéma, son avenir. On fait des films pour qu’ils soient vus, mais pour la postérité aussi. Voir Mouramani et des films faits en Guinée qui disparaissent, cela pose la vraie question sur l’avenir de mes films, celui de tous les films qu’on est en train de faire aujourd’hui. C’est ça le propos de Au cimetière de la pellicule, et aller à la recherche de Mouramani, qu’on le trouve ou pas, ce n’est pas le plus important, mais c’est ce voyage où on passe par pas mal de choses, on découvre pas mal de choses et on pose une vraie réflexion sur le cinéma.

On sait que l’Afrique manque cruellement d’infrastructures pour la con­servation des films. Quelle réponse avez-vous trouvé à cet épineux problème ?
Moi je pose la question, mais ce n’est pas forcément à moi de trouver la réponse. C’est un problème qui concerne tout le monde, pas seulement l’Afri­que. Au début, il y avait la pellicule qui est la matière qui résiste le plus au temps. Aujourd’hui, on est sur le numérique dont la durée de vie ne va pas au-delà de 25 ans. C’est un problème de la Guinée, mais ça se pose aussi dans le monde. Des réflexions vont être menées par-ci par-là pour trouver des solutions. Mais, c’est aussi dire à nos autorités combien il est urgent de garder notre patrimoine culturel, cinématographique. C’est une priorité pour tous ces pays de travailler dessus.

Dans le film, vous êtes pieds nus. Quel est le message que vous cherchez à transmettre ?
C’est un coup de gueule, une façon de manifester contre tous ces Etats qui ne mettent pas d’argent dans le cinéma, dans la culture. Moi, je viens d’une école de cinéma mise en place par l’Etat. J’y ai appris le cinéma, mais après cette école, l’Etat ne me donne pas la possibilité de faire mon cinéma. Je marche pieds nus pour dénoncer ce système qui existe sur le continent et un peu partout dans le monde.

Est-ce que dans votre pays, la Guinée, des réflexions sont en train d’être menées pour soutenir le cinéma ?
Il y a une prise de conscience qui est déjà là. En Guinée et un peu partout dans le monde, le film pose un vrai débat d’actualité. Surtout avec la fermeture des salles de cinéma, des gens qui ne vont presque plus au cinéma face à ce système de streaming. Au-delà de la Guinée, ça rentre dans l’histoire du monde, dans l’actualité et l’avenir du cinéma en général. En Guinée, on a pris beaucoup de retard, mais on commence à parler du fonds qui existe et comment il va être alimenté, mais aussi des formations pour pouvoir faire de bonnes choses.
Propos recueillis par Mame Woury THIOUBOU – (mamewoury@lequotidien.sn)