C’est au Musée des civilisations noires, ce 2 août 2025, qu’un petit monde de froufrous et de paillettes se croise donc pour célébrer par anticipation les quatre-vingt-dix ans de l’ancien Président sénégalais, né un 7 septembre. Bien entendu, chacun ira de sa tirade pour magnifier celui qui sera l’heureux locataire du Palais de Roume de 1981 à 2000. Lui, pour des raisons de santé, dit-on, n’est pas présent, et se fait représenter par son fils aîné, Pierre Moctar Diouf, qui serait le vice-président de la Fondation Abdou Diouf Sport-Vertu. Les témoignages dithyrambiques, comme à l’accoutumée, ne manquent pas dans ces agapes, chacun y allant de sa brosse à reluire pour faire remarquer sa propre brillance.

Son legs ? Un pays exaspéré dont sa jeunesse malsaine et un Parti socialiste en décomposition…
Dans les années quatre-vingts, ça doit être sans doute trop jeune pour comprendre. Mais avec le temps, le recul et ce que la vie nous enseigne, la conclusion à en tirer est que les dix-neuf années de magistère de Abdou Samba Toro Diouf sont une calamité. A son passif, l’autorisation à n’importe quel énergumène de créer un parti politique. Le résultat est là : une faune interlope nous tient lieu de classe politique, où se côtoient le moins mauvais et le pire, dans laquelle la vermine se la dispute à la crapule.

Si ce n’était que ça…
Le sort qu’il réserve aux artistes au nom de la «désenghorisation», laissera des traces profondes dans le petit monde coloré de la culture. C’est nuitamment que les gendarmes les délogent de l’Ecole des arts qui fait l’angle de la corniche et l’avenue Peytavin, face à la mer, en balançant leurs œuvres par-dessus les balcons.

Ils étaient trop bien logés, peut-être ?
Pour Abdou Diouf, il s’agit juste de nettoyer une poche d’insalubrité… Mais ce ne sera rien par rapport à la radiation de la police qui verra des milliers de familles brisées d’un trait de plume présidentielle. Son ingratitude vis-à-vis de Senghor relèvera du grand art. C’est connu, «il y a des services si grands qu’on ne peut les payer que par l’ingratitude». Si ses successeurs se montrent généreux à son endroit, que ce soit Wade ou Macky Sall, lui se révèlera mesquin avec Senghor dont le traitement d’ancien Président sera dérisoire et le legs démoli. Jusqu’à un pavé du ministre de l’Information, Djibo Kâ, en 1984 dans Le Soleil, pour dénigrer l’ancien Président, devenu un rêveur farfelu qui quitte le pouvoir précipitamment parce que l’Etat qu’il lègue à ses successeurs est un champ de ruines.

Le duo «Diomaye môy Sonko» serait-il allé à bonne école ?
Le pire crime des dix-neuf ans de la Présidence sera le saccage de l’école sénégalaise, à laquelle il doit tout et bien plus. Une éducation nationale au rabais, c’est son legs à la postérité, avec des enseignants au profil surréaliste, des élèves qui perdent au fil du temps le sens et l’idée de la République, le souci du savoir-vivre, le respect de l’autorité, le culte du mérite et la boulimie du savoir. Lorsque dans un moment de fureur, il qualifie «sa» jeunesse de malsaine, en 1988, cela fait alors huit années qu’il est président de la République, après ses dix années à la Primature.

Les sales gosses en sont, parce qu’il est à la manœuvre depuis tout ce temps…
Ses dix années de Primature ? Il n’en assume rien. Dès juillet 1981, alors président de la République depuis six mois, il découvre que ce pays est pillé par ses dignitaires. Il invente la Cour de répression de l’enrichissement illicite, la tristement célèbre Crei, avec comme mot d’ordre de dénoncer tous les personnages qui affichent un train de vie trop fastueux pour être honnêtes. En plus bref, ça encourage la délation. Les ancêtres de nos lanceurs d’alerte sont déjà là ?

La vérité est plus prosaïque : Abdou Diouf a dans son collimateur l’ancien ministre des Finances, Babacar Bâ, que l’on pressentait à un moment pour succéder au Président Senghor, tête de file des barons socialistes, ces gens qui tiennent la base de ce qui est en ce temps-là un «parti de masse». Babacar Bâ a du charisme, de la classe et du caractère. L’ancien Président français Giscard d’Estaing le désigne alors comme «le meilleur ministre de l’Economie et des finances d’Afrique». Sa personnalité de faiseur de destins, surtout via le compte K2 à la Bnds, écrase celle du trop chiche Premier ministre, lequel obéit au doigt et à l’œil au ministre de l’Intérieur, Jean Collin, le faiseur de roi qui le surnommera dans son dos «le roi fainéant». Il faut préciser que le fils de Ndiaye Diouf traîne plutôt la réputation de passionné du jeu de dames. Durant les dernières années au Palais, Senghor sera encerclé : Moustapha Niasse, son directeur de Cabinet, Djibo Kâ, son adjoint, aussi roulent pour Jean Collin qui adoube Diouf. Ça intriguera tant et si bien que Babacar Bâ sera écarté des allées du pouvoir.

Ça ne suffira pas à Abdou Diouf, qui peine à se faire considérer comme le vrai patron. Car personne n’est dupe : le vrai chef de l’Etat sera Jean Collin jusqu’en 1990, date à laquelle il le limoge poliment. Il se débarrassera aussi des autres conjurés : Moustapha Niasse, sur un coup de tête à Djibo Kâ, et Djibo Kâ finalement viré pour indiscipline caractérisée lorsque que Diouf confie le Ps à Ousmane Tanor Dieng.

C’est le commencement de la fin de règne, mais on ne le sait pas encore. Abdou Diouf, paradoxalement, entre dans la légende le 19 mars 2000, en s’inclinant avec un panache certain au terme des dernières élections sénégalaises auxquelles il se présente. C’est parce qu’il perd et s’en va après avoir félicité son tombeur, qu’il est plébiscité par les grandes démocraties comme un citoyen du monde, qui devrait servir d’exemple à ses congénères d’Afrique. Vingt ans après Senghor, qui part, lui, volontairement, plaçant de la sorte le Sénégal au rang des pays… euh, civilisés. Abdou Samba Toro Diouf, c’est quand même, du haut de ses deux mètres, dix ans de Primature (Senghor aurait inventé ce mot pour ses beaux yeux), dix-neuf ans de Présidence. Avant tout cela, c’est une décennie comme haut fonctionnaire. Il n’aura pas été moins qu’un Gouverneur de région logé, nourri et blanchi par la République.
Y’a des gens qui sont vernis, n’est-ce pas ?

Le longiligne veinard squatte vingt ans le Palais de Roume avant de prendre l’avion (présidentiel) et se rendre en Egypte, ultime mission pour le Sénégal, envoyé par son tombeur, Wade himself, qui ne le jette pas en prison, contrairement à la tradition bien établie des lendemains d’élection au Sénégal.
Lui se tient à carreau pendant douze ans, prétextant ne pas vouloir faire de l’ombre à son successeur. La vérité est bien plus prosaïque. Sa Longueur croit mordicus que le Père Laye Wade ne se fera pas violence pour le jeter en prison si elle a le mauvais goût d’éternuer même un peu trop fort. L’interminable Abdou Diouf a lui-même tant de fois mis en prison son successeur que ce ne serait qu’un prêté pour un rendu. Vous savez bien, et lui mieux que quiconque : quand un Etat vous cherche des fautes de gestion après vingt ans de Présidence, vous et les vôtres, c’est vite trouvé.

Diouf, à n’en pas douter, a alors de petites (et même de grandes) choses à se reprocher…
Lorsque Le Joola coule deux ans après son départ, il n’ose même pas exprimer sa compassion aux familles des deux mille victimes. Un an auparavant, une pluie hors saison installe la famine dans le monde rural. Abdou Diouf n’a pas un frisson de miséricorde pour ce pays qui lui aura donné plus que de raison. Il se promène sur les bords de la Seine et ne bouge pas un cil, quoi qu’il se passe au Sénégal. Seule son élection à la Francophonie l’émeut et le sort de sa torpeur. Si le Père Laye (comme disent les rappeurs) se sent en territoire conquis pendant une décennie, c’est aussi parce qu’en face de lui, c’est le désert. Le seul adversaire qui peut lui nuire, Abdou de Coumba Dème, parce qu’ayant engrangé 48% de l’électorat, part sans demander son reste. La coalition qui le porte au pouvoir, dès cet instant, n’a plus sa raison d’être. Moustapha Niasse se prend au sérieux pour avoir apporté 17% de voix en 2000, et ne voit rien venir. Ni le reste de la troupe : Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily et autres. Le Père Wade n’a plus besoin d’eux, parce qu’il le dit lui-même : il n’a personne en face de lui… Il les vire d’un décret assassin un an après son installation à Roume. Ce sera le point de départ des errements du Sopiste Suprême, faute d’opposant pour le contraindre à plus de circonspection dans la gestion des affaires publiques. Disons-le tout net : Sa Longueur Abdou Diouf est un pleutre dont la couardise s’illustrera avec l’assassinat de Maître Babacar Sèye en 1993, pour lequel il fermera les yeux quand on lui désignera les commanditaires. En 2000, il ne peut manquer, à ce moment précis, alors qu’il vient de perdre le pouvoir, d’exercer son devoir de vigilance. On n’abandonne pas ainsi un pays qui vous donne tout, sans compter depuis la nuit des temps. Après 2012, s’il faut jeter Wade et les siens en prison pour malversations et mal-gouvernance, Abdou Diouf doit les y accompagner pour non-assistance à Nation en danger… Le Père Wade le sait bien, et le dit depuis tout le temps : Abdou Diouf est un poltron. Il a une hantise : la prison. C’est cette confidence faite au milieu des années quatre-vingts à Doudou Ndoye, alors ministre de la Justice, et qui se retrouve dans les colonnes de Takkusaan, qui vaut à celui-ci d’être viré du gouvernement…

Abdou Diouf, en réalité, n’a d’attention que pour sa petite, pardon, sa longiligne personne. S’il part en 2000, c’est qu’il n’a pas le choix. Il tenterait un coup de force qu’un an après il finirait au mieux comme Ben Ali, au pire comme Kadhafi. Effectivement, le mieux alors est de reconnaître sa défaite. Abdoulaye Makhtar Diop, qui lui apporte son soutien inconditionnel durant plus de deux décennies, s’indignera sur les ondes des radios de son manque de courtoisie : Abdou Diouf ne dit pas même adieu aux socialistes qui lui sont restés fidèles jusqu’au bout, ni même aux marabouts et autres notables de la République qui se seront escrimés pour le faire réélire. 48% de votes, ce n’est pas le désastre, n’est-ce pas… Il est vrai que ce ne sont que leurs seuls intérêts qui les intéressent tous. D’ailleurs, la plupart est allée se prosterner aux pieds du nouveau maître du pays, le Père Laye, dès 2000…

Mais tout ceci n’excuse pas la désertion de Abdou Diouf. Il manque à son devoir de citoyen privilégié, qui a plus d’obligations que les autres. L’excuse de ne vouloir gêner son successeur est d’autant plus tirée par les cheveux qu’il commet un ouvrage qui crée le désordre chez Sa Placide Rondeur Macky Sall dont le plus fervent allié, que dis-je, le plus obséquieux, Moustapha Niasse, parait sous le jour d’un fourbe rancunier. Saloum-Saloum, un jour, Saloum-Saloum, toujours ? Mais enfin…

La seule vérité est que Abdou Diouf n’en a que pour son petit nombril depuis toujours. A ce point qu’il n’hésite pas à poignarder celui qu’il déclare être son meilleur ami, Habib Thiam, à deux reprises, pour garder son fauteuil. Une première fois, en 1984. Des pétitionnaires à l’Assemblée nationale demandent la réduction du mandat de leur président à un an. En effet, Sada Ndiaye n’a rien inventé. Abdou Diouf croise alors les bras. Habib Thiam, président de l’Assemblée, comprend qu’il est lâché par son «meilleur ami». Et rend le tablier.
Pourtant, lorsque Sa Longueur Abdou Diouf reconduit le poste de Premier ministre en 1991, et fait entrer Wade et compagnie dans le gouvernement, c’est à Habib Thiam qu’il confie la rude tâche de surveiller tout ce beau monde. Ça ne l’empêche pas, en 1998, sentant le vent tourner dès les Législatives, de le donner en offrande, alors que tout le monde réclame la tête de Ousmane Tanor Dieng. Autre exemple : Serigne Ndiaye Bouna, que l’on présente alors comme son prête-nom tant leurs intérêts sont liés, recevra les douanes et les impôts à la Sotiba, dont les contrôles et redressements finiront de couler la boîte, en plus des malversations qui ont déjà laissé des déficits abyssaux dans la boîte. Sa faute ? Avoir financé un journal, Liberté, alors dirigé par Asak, qui publie un sondage. Problème : le sondage en question, paru en 1984, annonce que Laye Wade est le maître de Dakar, contrairement aux chiffres des scrutins, un an auparavant. Pire, ils annoncent le raz-de-marée sopiste quatre ans plus tard, en 1988. Le journal est contraint de mettre la clé sous le paillasson. Et les sondages politiques sont bannis. Elle est belle, la démocratie sous Abdou Diouf, qui rempilera en 1983, 1988 et 1993, par, entre autres, la magie des bourrages d’urnes, n’est-ce pas… Il n’empêche, le masochisme national le propulse aujourd’hui au rang des hommes d’Etat sortis de la cuisse de Jupiter. Cette semaine, on assiste également au spectacle désolant des prétendues victimes des exactions de Macky Sall, lesquelles exigent que justice leur soit faite. Bizarrement, nous avons assisté, il y a quelques mois, à la généreuse distribution des «indemnités» aux «prisonniers politiques», alors que la Justice ne s’est pas penchée sur leurs cas, si l’on en croit les marcheurs de cette semaine. A partir de quelle décision de Justice ont-ils donc été «indemnisés» ? Cherchez l’erreur…

Je ne sais pas vous, mais cette semaine, encore, j’ai le sentiment d’être seul au monde…
Par Ibou FALL