Quand analyser n’est pas justifier, la question de la migration clandestine meurtrière est posée en me basant sur mon expérience professionnelle de plus de 30 ans sur les questions de migration, mes échanges avec des centaines de migrants de différents continents et nationalités, et ma connaissance du milieu des migrants africains en Europe pour avoir travaillé comme assistant social et directeur de centres de jeunesse, avant d’occuper pendant 10 ans le poste de directeur à la Direction de l’intégration et de la diversité au Ministère de l’Education du Royaume de la Norvège, en charge des questions de migration, d’intégration et de participation des communautés issues de la migration.

Les discours politiques, de l’opposition comme du régime, font l’apologie déguisée de cette migration clandestine meurtrière, présentée soit comme une conséquence inévitable de la mondialisation que le Séné­gal devra falloir gérer avec l’appui de la Communauté internationale, soit comme la faillite du régime en place à offrir aux jeunes une bonne éducation et un emploi décent. Le problème demeure toujours entier car la thèse d’une corrélation directe de cause à effet entre conditions économiques et migration clandestine meurtrière est largement partagée par les deux camps et freine toute analyse profonde de cette crise sociétale au Sénégal.

Il est certain que la solution n’est pas l’obtention de financements des pays d’accueil pour freiner à la source les vagues migratoires, ni la mise en place de projets de création d’emplois décents à travers le Sénégal. Il nous faudra plus que des outils économiques pour sortir de ce cul de sac, car cette situation n’est pas propre à la jeunesse sénégalaise. Elle dénote un malaise profond et une aliénation qui gangrènent toutes les sociétés modernes et qui souvent n’ont rien à voir à priori avec la situation familiale, politique ou économique du pays, mais une conception de la réalité et du vécu. Des jeunes d’autres pays d’Afrique et aussi de l’Inde débarquent en flux continu en milieu rural et urbain pour gagner leur vie au Sénégal, comme techniciens ou même marchands ambulants.

Les principales victimes de la mal gouvernance qui est pointée du doigt comme principale responsable, n’ont pas les moyens nécessaires pour couvrir leurs besoins primaires et surtout pas des millions de francs Cfa et contacts avec des démarcheurs pour entamer leurs périlleux voyages vers les Amériques ou pour traverser le désert en route pour l’Europe. Les véritables nécessiteux et pauvres de ce pays qui soutiennent leurs familles ne peuvent pas s’offrir les 3 repas et sont contraints sans trêve d’être près de leurs proches pour la survie quotidienne, tout en recherchant les voies et moyens pour améliorer leurs conditions de vie. On ne devrait peut-être pas alors parler des migrants clandestins comme les vrais soutiens de famille, car étant disposés à perdre la vie en cours de route ou risquer de se retrouver en situation irrégulière et être incapables de subvenir aux besoins de leurs proches ou même d’assurer leur quotidien, et cela pour une longue période.

Les Sénégalais qui quittaient l’une des vitrines de la stabilité politique et de la démocratie en Afrique ont longtemps partagé les mêmes embarcations avec des victimes de violence politique et conflits ethniques de Somalie, Ethiopie et Soudan du Sud qui fuyaient la guerre pour sauver leur vie ou rejoindre leurs proches déjà en sécurité. Ceux et celles qui partent de nos jours sont très rarement victimes d’exactions ou de représailles du régime sur leurs personnes ou des membres de leurs familles. Pourquoi alors cette migration clandestine meurtrière ?
• Je ne pourrais jamais avoir ce que je mérite dans ce pays ;
• Je ne pourrais jamais m’épanouir dans ce pays ;
• Je ne pourrais jamais obtenir le statut social que je mérite en restant au pays ;
• Je ne pourrais jamais m’en sortir face à la pression familiale et sociale en restant au Sénégal ;

• Je ne me retrouve plus dans ma famille, ma communauté et mon pays.
Pour l’une ou l’autre raison, on est prêt à sacrifier un membre de la famille ou au sacrifice ultime pour avoir la chance de répartir à zéro ou de mourir en chemin, avec ou sans le consentement de la famille. Pour la jeunesse des pays développés comme la Norvège, les mêmes réponses se retrouvent partout dans le récit des suicidés. On n’est donc pas trop loin d’une pathologie et d’un état mental parmi les candidats à la migration clandestine, une aliénation assumée qui a rendu toute une génération dysfonctionnelle. En l’absence d’une terre promise, c’est le suicide dans les pays développés. Chez nous, nous en sommes encore au stade de la maladie mentale, la criminalité, l’exil et la migration clandestine meurtrière.

Il s’agit juste de trouver notre propre remède à ce fléau. Il nous faut avant tout un diagnostic rigoureux et sans complaisance pour un jour, oser parler de santé mentale, de l’environnement socioculturel, des valeurs véhiculées dans nos sociétés et des conditions de vie des jeunes de ce pays. En attendant, ne devrions-nous pas procéder à une séance de thérapie nationale, le «Ndeup National» tant attendu en ces temps de crise ou juste provoquer un réveil brutal pour sortir de cette euphorie ou situation de détresse. Notre futur en dépend.
Birame DIOUF
birame.diouf@gmail.com