Migrations, arrêter la vague

Par Mohamed GUEYE –
Les étés sont meurtriers sur les côtes africaines en Atlantique et sur la Méditerranée. C’est la grande vague de pirogues qui prennent d’assaut l’Océan et la Mer Méditerranée à la recherche d’un hypothétique graal dans les pays d’Europe. De plus en plus de jeunes gens, femmes et hommes, venant du Sénégal comme de tous les autres pays d’Afrique, embarquent dans des navires qui tiennent à peine la mer, pour tenter de rejoindre ce que des décennies de propagande leur ont présenté comme étant le paradis sur terre. Aveuglés par leurs illusions, ils sont prêts à braver tous les dangers et à affronter tous les obstacles qui se dressent sur le chemin de leur aspiration.
Lire la chronique : Les Brics encore trop loin des Brincss
Les Occidentaux ne craignent rien de plus que ce qu’ils voient comme une marée humaine prête à les engloutir sur leurs propres terres. Pour prévenir ceux que certains de leurs théoriciens présentent comme «Le Grand remplacement» (qu’ils ont pu mettre en œuvre avec succès sur les continents américain et océanien), les dirigeants européens ont décidé de barricader leur contient pour empêcher une nouvelle invasion, venant cette fois-ci des hordes miséreuses des pays du Sud global.
Ils n’hésitent pas, pour cela, à déplacer leurs frontières même dans les pays du Sud. C’est ainsi que l’Union européenne a entrepris de convaincre le Fonds monétaire international (Fmi) d’alléger les conditions d’emprunt de la Tunisie, afin de lui permettre de relancer son économie en état d’asphyxie.
La contrepartie pour le pouvoir de M. Kaïs Saïed sera d’empêcher les migrants d’Afrique noire de rejoindre l’Europe à partir des côtes de son pays. De même, le gouvernement anglais reste sourd et aveugle à toute critique envers le régime du dirigeant rwandais Paul Kagame, avec lequel il a passé un accord d’extradition de tous les demandeurs d’asile qui voudraient rejoindre le Royaume-Uni. Le gouvernement de Rishi Sunak est disposé à toutes les compromissions pour que cet accord aboutisse, afin qu’il puisse renvoyer vers Kigali tous ceux qui souhaitent trouver asile sur les bords de la Tamise. Malheureusement, pour le moment, cet accord n’a pas encore pu franchir les barrages dressés au niveau de la Chambre des communes, le Parlement anglais.
Les conséquences de tous ces obstacles sont des milliers de morts et des disparus en mer ou dans le désert. Les cris d’indignation et les manifestations de compassion des Africains et des Occidentaux ne changent pas grand-chose à la situation, et les images des cadavres dans le désert, ou rejetés par la mer, ou même la perspective d’être retenus en otage ou réduits à l’esclavage dans certains pays de la côte méditerranéenne, ne découragent pas les candidats au départ.
Lire la chronique : Les militaires étouffent le rêve d’intégration
Les analystes et experts tentent d’expliquer le phénomène par des questions de gouvernance dans nos pays, africains essentiellement, qui ne laissent aucune perspective à une jeunesse de plus en plus mature politiquement et aspirant à une meilleure vie. Une belle explication qui, bien qu’ayant sa part de vérité, permet d’escamoter les parts de responsabilité des pays occidentaux dans ce drame.
Il ne faut pas oublier que les contraintes de visa entre l’Afrique et les Européens n’ont pas toujours été rigides. A une époque, des Africains se rendaient en Europe juste avec la présentation d’un passeport. Ceux qui désiraient s’y établir devaient alors se faire établir une carte de séjour. On n’a pour autant pas vu des Africains prendre d’assaut les aéroports et les ports pour rejoindre l’Europe. Comme font les Européens, les Africains se rendaient en Occident et rentraient tranquillement chez eux. On n’évoquait les pirogues que pour parler des boat people des pays d’Asie du Sud-Est.
Lire la chronique : Emploi, il faut changer de stratégie
C’est sous le prétexte de combattre le terrorisme moyen-oriental que Jacques Chirac a introduit la politique du visa en France, et l’a fait adopter par ses partenaires européens dans le cadre de l’accord dit de Schengen. Cela fait que les ressortissants d’Europe peuvent, juste sur présentation de leur titre de voyage, parcourir notre continent de long en large, même sans motif. Et les Africains doivent subir la morgue et le mépris de certains petits fonctionnaires des services consulaires occidentaux, qui les prennent de haut.
Le vrai combat pour en finir avec les images de ces nouveaux boat people doit être, pour les dirigeants africains, d’imposer, par tous les moyens, une levée de l’obligation de visa pour les ressortissants des pays africains. Faute de mieux, tenter d’obtenir ne serait-ce qu’une réciprocité. A son arrivée au pouvoir en 2012, le Président Macky Sall avait supprimé l’obligation de visa pour certaines catégories d’étrangers. Cela, parce que les procédures étaient trop lourdes à gérer pour nos services consulaires, qui y étaient peu préparés. L’expérience aura servi pour que, si nécessaire, le Sénégal ainsi que d’autres pays d’Afrique imposent des visas à tous les pays qui nous en demandent.
mgueye@lequotidien.sn