Le capitaine Haddock, le fidèle compagnon de Tintin, jurait souvent par «mille milliards de mille sabords». Cette expression provient du domaine maritime. En effet, entre les XVIIe et XIXe siècles, les navires de guerre étaient pourvus de sabords, c’est-à-dire d’ouvertures carrées ou rectangulaires situées sur les flancs, fermées par des volets et par lesquelles passent les tubes des canons. Les navires de guerre pouvaient alors aligner plusieurs rangées de canons. Lors des combats en mer, des dizaines de vaisseaux s’affrontaient en ligne de bataille, présentant à l’ennemi leurs flancs. Ouvrant leurs sabords, un déluge de feu s’abattait alors sur les vaisseaux adverses.

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Bien des siècles plus tard, au Sénégal, un homme politique s’est permis de regarder ses concitoyens droit dans les yeux pour leur annoncer que «sur un des comptes d’un ex-dignitaire du régime sortant, (on y a) trouvé 1000 milliards de francs Cfa». Face à la stupéfaction généralisée, El Malick Ndiaye et Aminata Touré montent au créneau pour assurer le service après-vente. Quand les spécialistes (Abdoul Mbaye y compris qui a quand même travaillé pour la Bceao et a dirigé une bonne demi-douzaine de banques dans ce pays) ont démontré l’absurdité d’une telle déclaration, le ministre des Transports fait le charretier qui discute aéronautique avec l’ingénieur. Et c’est pour faire ce que savent faire les populistes et démagos, utiliser des raccourcis faciles : «Les 1000 milliards existent. Si vous votez pour nous, nous irons les chercher.»

Chez Sonko, un carré est un cercle
Si El Malick est habitué à faire l’essuie-glace après son leader, Aminata Touré par contre, en se voulant plus royaliste que le roi, s’est enfoncée toute seule. «A ceux qui demandent si 1000 milliards peuvent être dans un compte bancaire dans les paradis fiscaux, bien sûr il suffit d’y mettre 83 milliards par an pendant les 12 ans de Macky Sall. Si on prend 3 milliards par an sur les 35 ministres et plus du régime, ce sont 105 milliards par an dans chaque ministère. Et les 12 ans, ce sont plus de 1200 milliards. 1000 milliards dans un compte pour ces paradis fiscaux, ça n’a rien d’extraordinaire.» Pour un pilier du régime sortant jusqu’à sa disgrâce née de sa non-désignation comme présidente de l’Assemblée nationale en 2022, Mimi Touré avoue avoir participé à la spoliation des ressources publiques. En tant qu’actrice principale ou en tant que complice ou spectatrice consentante. N’oublions pas qu’elle a été ministre de la Justice pendant 16 mois, Première ministre pendant 10 mois, présidente du Conseil économique pendant 17 mois, Envoyée spéciale du président de la République entre 2015 et 2019. Mais comme Ousmane Sonko raconte des bobards…
En effet, Ousmane Sonko a un sérieux problème avec la vérité. Un de mes amis dit souvent que «ay wakham diaroul door sa doom», pendant qu’un autre aime dire que «ay wakham dou noor bay nawett». C’est le parfait disciple de Goebbels qui nous disait : «Plus le mensonge est gros, mieux il passe.» L’idéologue nazi nous a en effet dit qu’«à force de répétitions, et à l’aide d’une bonne connaissance du psychisme des personnes concernées, il devrait être tout à fait possible de prouver qu’un carré est en fait un cercle. Car après tout, que sont «cercle» et «carré» ? De simples mots. Et les mots peuvent êtres façonnés jusqu’à rendre méconnaissables les idées qu’ils véhiculent». Oui, chez Sonko effectivement, un carré est un cercle.

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Durant des années en effet, le leader de Pastef s’est construit une réputation basée sur la stratégie du mensonge et de la manipulation au moyen de discours populistes, d’accusations infondées, de déclarations grotesques et non factuelles, et de promesses souvent déconnectées des réalités du pouvoir. Désormais aux affaires, ses déclarations d’hier, qui ont parsemé sa carrière d’opposant, le rattrapent maintenant. Des perles, il nous en a beaucoup servi. N’avait-il pas dit en 2016 que des «pipelines ont (déjà) été installés» pour pomper notre pétrole et notre gaz qui étaient en phase d’exploration, à l’insu des Sénégalais ? C’est seulement en 2024 que le Sénégal verra le premier baril de pétrole sortir de ses eaux profondes. Sur l’affaire des 94 milliards, le 19 janvier 2019 à la Place de l’Obélisque, le même Sonko affirmera que «Mamour Diallo et ses complices se sont partagé 46 milliards», qu’il connaît la banque qui a réceptionné les fonds, ainsi que le numéro du compte. «Si le procureur ne veut pas instruire ce dossier, nous allons, avec la Société civile, mettre en place un jury populaire», avait-il ajouté. Nous sommes en 2024, pas de traces de cette somme, pas de jury populaire. Ne nous avait-il pas dit ici qu’en cas d’attaques d’une maison des gens au pouvoir (il était bien sûr dans l’opposition), on trouverait chez eux «des milliards dans leurs coffres».

Chaque jour, il faut s’attendre à un nouveau canular
Et que dire du détournement des 29 milliards du Prodac, pour lesquels il a été condamné à payer 200 millions de dommages et intérêts pour diffamation ? Il nous a dit que ce rapport est sur sa table, mais jusqu’à présent aucune poursuite. Mame Mbaye Niang est, en effet, l’une des nombreuses figures du pouvoir sortant que Sonko, durant ses monologues, n’a jamais cessé de pointer du doigt, les accusant de toutes sortes de malversations, jurant de les traduire en Justice une fois au pouvoir. Pourtant, depuis mars 2024, aucune enquête sérieuse, ni poursuite judiciaire, n’a été engagée sur la base de ses accusations tapageuses et manifestement fausses. Les grandes promesses de traquer les supposés détournements restent donc lettre morte, laissant planer le doute sur la véracité des accusations passées et sur la probité morale de celui qui les profère. Il a la primeur sans doute d’avoir les dossiers en main, mais il est préférable de les publier puis de les commenter, et tout le monde pourra prendre au préalable information dans lesdits rapports. Mais venir faire de la délation à longueur de journée sur des rapports non publics, c’est bien pire que faire du populisme.

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D’ici à la fin de la campagne électorale, chaque jour, il faut s’attendre à un nouveau canular, au moment où les citoyens espèrent qu’on leur présente des projets et programmes à même d’améliorer leurs conditions de vie. Même si beaucoup sont dans le déni, aujourd’hui, les Sénégalais savent que ce pouvoir est incapable et ne saurait assurer 5 années de gouvernance basées sur la ruse, la fourberie, la manipulation. Ils n’ont ni projet ni programme.

Ousmane Sonko est d’une constance déconcertante dans la contrevérité. Ne pas le critiquer est un droit, l’aimer aussi. Mais en vouloir à ceux qui le critiquent malgré tout ce qu’il a fait et dit, malgré les grosses contrevérités qu’il dit, c’est fermer les yeux sur l’évidence et être inapte à la délibération qui fait l’essence de la société ouverte. On n’a pas besoin de rappeler qu’il ne doit son salut politique qu’à la délation, à la diffamation, à la manipulation et à la violence que cela a suscitée. S’étonner de voir des gens libres de naissance et de citoyenneté le critiquer, c’est avouer soi-même qu’on ne mérite aucune considération. Il a critiqué tout le monde, y compris ses alliés actuels, qu’il débauche à tour de bras, après avoir vomi la transhumance. Il en a même beaucoup insulté. Les gens qui hier critiquaient les autorités et qui continuent à le faire ne sont pas des rapaces, des charognards de l’histoire, ils disent ce qu’ils pensent des hommes qui les gouvernent. Et ça, ce n’est pas seulement un droit, c’est un devoir.

Mais au fond, le problème est-ce Pastef et Sonko ? Ou est-ce l’électeur sénégalais ? Si ce dernier choisit encore de supporter Pastef malgré leurs mensonges flagrants, reniements sur toute la ligne, alors on pourrait s’interroger : sommes-nous un pays de vicieux ? La banque du mensonge de Pastef n’a jamais cessé de fonctionner car son objectif final est la «banalisation du mal» dont nous prévenait Hannah Arendt. «Ce mensonge constant n’a pas pour but de faire croire au peuple un mensonge, mais de s’assurer que plus personne ne croit en rien. Un peuple qui ne peut plus distinguer la vérité du mensonge ne peut pas distinguer le bien du mal. Et un tel peuple, privé de pouvoir de penser et de juger, est, sans le savoir, et sans le vouloir, complètement soumis à la règle de mensonge. Avec un tel peuple, tu peux faire ce que tu veux.»

Ps : Cette semaine de campagne s’est ouverte par une déclaration du président de la République qui sonne comme la fin de la récréation dans son parti. Cette sortie de Bassirou Diomaye Faye, notamment sur la nomination de Samba Ndiaye comme Pca, a eu le mérite de nous démontrer que chez Pastef, nous sommes passés du «don de soi pour la Patrie» à «le parti est au-dessus de la Patrie» et d’un président de la République à l’autorité très contestée. En effet, comment comprendre la discourtoisie avec laquelle ce pouvoir discrétionnaire du chef de l’Etat a été violemment attaqué par des personnes qui ont elles-mêmes bénéficié de la même mansuétude. Et la réponse du Président n’est pas emprunte de fermeté.
Par Bachir FOFANA