Le journal Le Quotidien révélait en début de semaine, un projet d’amnistie que concoctaient les plus hautes autorités du pays pour effacer tout un pan d’histoire récente, assez tumultueuse et violente. Un projet de texte devait être présenté en Conseil des ministres pour balayer sous le lit du Sénégal, les émeutes de mars 2021 et de juin 2023. Cela, dans une logique de baliser la voie à un dialogue national et une décrispation de la vie publique.

Un tel projet entraînera des levées de boucliers de toutes parts. Entre des républicains et citoyens épris de justice qui voudraient voir clair sur les causes de près de cinquante morts et des dégâts matériels qui ont mis l’économie du pays à genoux, des chapelles politiques d’opposition qui rejettent totalement toute idée d’amnistier un ensemble de faits très graves et des partisans de la machine au pouvoir qui ont rué dans les brancards pour ne pas offrir de répit à l’ennemi Sonko, le Sénégal, en tant qu’ensemble, a bien fait de ne pas donner écho à la musique qui voudrait être jouée. Résultat des courses, le projet ne sera pas finalement présenté en Conseil des ministres. On verra divers groupes s’enorgueillir d’avoir mis à l’arrêt un projet qui ne devait jamais voir le jour. Toutefois, on ne peut qu’être groggy à l’idée qu’un arrangement politique aurait pu refermer le couvercle sur la séquence qui a été à un bout de faire du Sénégal un Etat failli. C’est dire la gravité des actes posés.

Comment peut-on penser à un moment qu’il faut prescrire la pilule de l’oubli pour effacer des mémoires tout ce qui a pu se produire comme dérapages, abus et crimes contre l’Etat et la République ? Comment peut-on vouloir dans une logique d’élargir des adversaires politiques, les soustraire des lois de la République en amnistiant tous les faits graves dont ils ont été les commanditaires et dont leurs sbires ont signé tous les forfaits ? Veut-on enlever des mémoires collectives l’attaque terroriste au cocktail Molotov d’un bus de transport en commun, rempli de monde, qui emportera la vie des sœurs Diallo à Yarakh ? Quelle est cette logique de vouloir disqualifier des faits aussi graves qu’une série d’attaques contre des infrastructures vitales telles que des centrales électriques, des postes de distribution d’eau, des transports de masse comme le Train express régional (Ter) ? Quelles personnalités qui étaient dans la liste d’un commando funeste qui s’apprêtait à attenter à leur vie et à celle de leurs proches, vont vouloir passer de tels actes sous le sceau d’actes mineurs à l’initiative de militants zélés ? Les stations d’essence caillassées, les supermarchés mis à sac, les petits commerces détruits, les petites gens violentés, allons-nous faire passer tout cela par pertes et profits ?

J’ai toujours beaucoup de mal à croire au discours tout haut de nos hommes politiques. En un si petit chemin, j’en ai croisé une pelle se courber dans les coulisses avec révérence alors que sur la scène ça brandit des muscles qui ne ploient pas. Quand des émissaires de luxe comme Pierre Goudiaby Atepa et Alioune Tine investissent les médias pour mettre à l’agenda un nettoyage à grande eau de toute la séquence folle et criminogène allant de mars 2021 à février 2024 et qu’ils se trouvent des caisses de résonance dans les rangs du pouvoir pour un tel projet, on en vient à être résigné d’un pays où les politiciens seraient des citoyens d’exception. Ils peuvent insulter des juges, chahuter des officiers, cracher sur nos textes fondamentaux, appeler à la violence, paralyser l’économie, s’invectiver tout haut le jour et boire leur petit thé la nuit, avoir toutes les commodités en détention, trouver des passerelles de dialogue entre eux et se laver de tous leurs péchés.

Comme dans tout ce qu’il y a de tortueux dans ce pays et qui se drape faussement des habits d’une forme de lucidité, il y aura Alioune Tine à la baguette. Son rodéo médiatique en dit long sur les coups de bélier pour forcer l’opinion à l’idée d’une amnistie totale pour que le pays gagne en sérénité et en quiétude. Le Bon Dieu ne ferait pas mieux, car la mansuétude est à l’ère du temps !

Si pour pacifier l’espace public, l’Etat du Sénégal suit un Alioune Tine dans son réquisitoire complaisant et faisant l’apologie du tout, de la délinquance sexuelle au vandalisme, en passant par des actes terroristes, pour draper tous les criminels en puissance de vêtements de prisonniers politiques, la République et ses enfants seront bien orphelins d’un Etat fort, à même de se faire respecter. Je me mets à la place d’un officier de Police judiciaire qui, depuis juin 2021, mène des enquêtes sur des faits graves et voit tout un travail fait pour sauver le Sénégal balancé à la poubelle, parce qu’il faudrait accommoder des politiciens. Quel affront à notre Justice et à nos corps de sécurité ! En parlant du gourou de la bien-pensance dakaroise et de son humanisme sur des bases fallacieuses, Alioune Tine, l’extase de ce «rentier de la tension» lorsqu’il réclamait sur les antennes de France 24, la libération de son héros politique Ousmane Sonko, s’entendait à mille lieues. Faire d’un tel individu, le liant d’un dialogue national en dit long sur la logique de calculs et d’accommodements avec tout le monde dans un esprit de rendre une copie propre dans le livre de la République. Le roman républicain de cette Nation est tâché, il faudra situer les responsabilités sans faux-fuyants.

Il y a des gens qui se sont systématiquement mis dans une logique de détruire le modèle républicain sénégalais et n’ont pas ménagé d’efforts pour faire prospérer ce funeste projet, on ne peut leur serrer la main dans une lâche logique de masla pour les disculper de toutes les fautes lourdes qui auraient pu détruire ce pays. Quand un corbeau veut jouer les colombes de paix, il faut lui rappeler que des gens, par leurs faits et gestes, ont contribué à prôner un climat de tension permanent, en semant toutes les germes d’une guerre civile que la Société civile sénégalaise, avec Alioune Tine en tête, aura grandement contribué à théoriser par complaisance politique et surtout par un jeu de calculs mesquins qui ont fait peu de l’intérêt du Sénégal. Toutes ces gens qui ont contribué à déchirer beaucoup de pages de lucidité au grand livre républicain du Sénégal doivent être combattus sans répit, avec l’énergie qu’il faut et la détermination pour les faire rompre. Ce n’est pas en dialoguant sans se dire la vérité qu’on arrivera à tirer ce pays du gouffre dans lequel toute la classe politique nous aura précipités.

Ces mots peuvent être violents, mais quand tout conspire à vouloir banaliser une violence qui a failli détruire un pays, il faut savoir donner des coups. La violence, sous toutes ses formes, n’appelle qu’à de la violence. Pour défendre le Sénégal et son idéal républicain, il n’y a aucune honte à être violent face aux ennemis de cette Nation. Quoi qu’il en coûte.

Au moment où je bouclais cette chronique, différents détenus pour des crimes et délits commis dans la séquence de mars 2021 à février 2023 commençaient à être élargis. Certains de nos fameux «détenus politiques» hument l’air de la liberté. On dirait que des voies sont trouvées pour pacifier, malgré les passifs, la politique a ses raisons.
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn