Une alliance, constituée d’opposants, de médias et de soi-disant activistes de la Société civile, mène un combat culturel et idéologique contre tout et tous. En prosélytes enthousiastes et sans méfiance professionnelle, ils mêlent tout. Ils confondent tout. Ils fulminent contre le pouvoir et ses représentants. Ils pestent contre la haute administration. Ils sonnent le tocsin contre les services de sécurité du pays. Ils vilipendent la haute hiérarchie religieuse confrérique. Ces âmes tarées, médiocres, avec un esprit moyen et impur, s’adonnent à un populisme bon marché. Avec un plaisir mesquin, ils s’enhardissent d’avoir trouvé audience et autorité chez une partie des Sénégalais de l’intérieur et de la diaspora.

En vérité, ils font fausse route. On peut critiquer le président de la République et ses différents gouvernements. On peut donner raison à ceux qui leur reprochent de manière véhémente, un manque d’efficacité, de performance dans la résolution des problèmes et difficultés du pays et des populations. On pense, entre autres, au paupérisme et à la misère d’une grande partie des populations. Ce qui continue d’exister dans le pays et chez beaucoup de compatriotes, est plus que la pauvreté. C’est la misère et le dénuement total. Naturel­lement, on peut évoquer le problème de la corruption et du gaspillage des maigres ressources du pays. Un phénomène qui gangrène le pays et la société. On peut dénoncer la massive participation d’une partie des classes politique et économique dirigeantes et de l’administration, à des échanges occultes et corrompus. On peut s’offusquer des abus et incompétences au sommet de l’Etat et dans l’administration. Tout cela est bien juste et souhaitable. On peut adhérer sans réserve à ces reproches et dénoncer l’inaction du pouvoir ; une inaction qui nous reste difficile à comprendre.

Cependant, les Sénégalais ont le droit d’attendre de l’opposition parlementaire, de la sérénité et de la retenue dans l’énonciation et la manifestation des désaccords. Des journalistes et autres commentateurs d’opinions peuplant régulièrement certains studios de télévision, ils ont le droit d’exiger du professionnalisme, de la lucidité et du sérieux. Les informations mises à la disposition du public doivent faire l’objet d’une validation publi­que par une source crédible, identifiable et incontestable. Ce qui, très souvent, n’est pas le cas. «Le nouveau journalisme» sénégalais est une farce. Il est une parodie du journalisme. Dans ce pays, la gloire de la profession s’est éteinte. Ses autels ont été désertés il y a belle lurette. Son royaume a disparu avec ses vrais fidèles. Seuls quelques rares débris de fidélité au métier émergent de temps à autre des fonds de l’abîme. De ceux qui se sont autoproclamés «représentants de la Société civile», les Sénégalais ont le devoir d’exiger plus de retenue et de civilité. Ils attendent d’eux plus de raisonnement et moins de tempérament. Leur prétention à porter la voix du Peuple est fausse. En vérité, ils ne représentent qu’eux-mêmes. Ils n’ont aucun mandat pour parler et agir au nom des Sénégalais. Chacun dans ce pays doit prêter foi à l’efficacité et la force de persuasion de l’argument bien fondé. Nous devons retrouver le goût du parler vrai, courtois et pertinent. On en a assez des clabaudages et conciliabules amphigouriques.

Dénoncer la politique du président de la République, rendre publiques les insuffisances, les incompétences, les approximations et tergiversations de ses gouvernements est bien souhaitable. Ce travail est d’une nécessité absolue pour l’opposition. Cependant, cette tâche ne peut être productive, féconde que si elle est construite sur des arguments vrais, sur des faits réels. Le faux se tient souvent à l’horizon du vrai, mais il n’est pas le vrai. Nous vivons une période de grand déluge de la manipulation et de la diffusion d’informations dont le statut de vérité n’est pas acquis. Nous vivons une période caractérisée par une vulgaire émancipation de la bêtise, de la diffamation et de l’inclination pour les théories du complot. La désaffection envers la retenue, envers le sérieux, la rigueur, envers le parler-vrai est à son comble. A cette tendance à faire passer l’énorme, la tumulte et à la fureur au rang de la suprême pratique politique et citoyenne, on doit opposer un mur, un puissant obstacle : la mesure, l’autocontrôle, le sérieux dans les paroles et les actes, la bonne foi, le respect de la réalité réelle des faits. Ces valeurs doivent se voir élevées en un rang encore plus élevé. Ceux qui dirigent le pays ou bien aspirent à faire partie de ses futures classes dirigeantes doivent prendre cela en considération. Ces valeurs ne constituent pas des «contre-facultés» morales, politiques ou intellectuelles. Le vice n’est pas une vertu. Nous devons arrêter de chanter impunément sur les réseaux sociaux, les antennes de radio et les plateaux de télévision, les louanges de la discorde et du ressentiment. Le populisme est un toxique, une sorte de narcotique dangereuse. Sa version sénégalaise ne l’est pas moins. On ne règle pas nos désaccords et différends en versant dans l’excès et l’amalgame. Qui mange du feu, risque de se brûler la gueule.

Il n’y a pas d’engagement, d’opinion, de thèse, de croyance, de sentiment qui, poussé à bout ou exécuté à fond, ne conduise pas au désordre et à la destruction. L’Histoire a montré qu’être prêt à tout pour servir sa Patrie peut être un cauchemar pour elle. L’Allemagne de Adolf Hitler est un exemple parmi tant d’autres. Hitler finit par devenir un terrible cauchemar pour son pays, pour les masses populaires, les milieux conservateurs et le patronat qui l’avaient porté avec beaucoup d’enthousiasme au pouvoir en 1933.

Serigne Babacar DIOP
Allemagne