Le  bœuf, le papier ou les coquillages furent les premiers outils d’échange après le troc. Après une très longue période où les métaux précieux comme  l’or et l’argent  en ont été les supports privilégiés d’échange, la monnaie d’aujourd’hui sous forme de billets et espèces -monnaie fiduciaire et scripturale-qui   carac­té­rise  nos   fi­nances et  nos économies  dans nos sociétés où la valeur est mesurée par la monnaie. C’est la financiarisation de nos économies ou l’émission, voire la régulation de la monnaie qui est confiée  aux banques centrales, en haut de la pyramide.

L’histoire du franc Cfa commence dans l’après-Seconde Guerre mondiale en  1945. La France est à reconstruire. Elle impose dans le sillage du Plan Marshall,  le franc Cfa (F Cfa), une monnaie commune aux territoires franco-africains. La Métropole oblige les colonies à participer à l’effort de reconstruction de l’Europe de l’Ouest, la monnaie sera l’instrument de transfert de richesse du Sud vers le Nord.

Surévaluée, déconnectée du marché mondial, favorisant l’asservissement économique et la mise sous tutelle de nos circuits économiques, la zone Franc concentre presque 30% de la pauvreté mondiale, alors que notre zone ne fait que  4% de la population sur notre planète, avec presque 40% des richesses minières d’Afrique.

L’instrument de transfert de richesse s’appuie  sur une politique monétaire dont les formes et contours n’ont pas changé depuis les indépendances des années 60, avec le Trésor français qui garantit la convertibilité pour les échanges avec le reste du monde dont principalement l’ancienne tutelle coloniale qui se rémunère abusivement et usurairement sur les réserves extérieures des pays de la zone Franc. C’est une manne financière essentielle pour la France dont une partie est recyclée via la coopération avec l’aide publique au développement. La France ne nous aide pas, elle nous retourne juste une infime portion des intérêts générés dans nos comptes ou­verts auprès du Trésor français.

Naïvement, les pays francophones ont abdiqué devant Bercy dans la gestion active des devises et réserves monétaires, pourtant indispensable pour nos Etats dans la résorption des déficits budgétaires, l’investissement dans les secteurs-clés et le financement endogène de l’économie constituée de Pme et Pmi qui ont besoin annuellement de 7000 milliards de F Cfa en financement et fonds de roulement, et que nos banques locales ne peuvent satisfaire qu’a presque 15%, avec des taux trop élevés et des garanties difficiles à satisfaire.
La régulation du franc Cfa, avec une politique monétaire extravertie que nos Etats -pourtant souverains-  ont déléguée à nos banques centrales, qui reçoivent ordres et directives  du Trésor français, n’a absolument aucun effet économique et social tangible. La zone Franc, avec la Bceao pour nous et la Bceac  pour l’Afrique  centrale, concentre  195 millions d’habitants, pour un Pib d’environ 270 milliards de dollars en 2019, soit presque la moitié du 1er Pib du continent, le Nigeria. Si tant est que l’Afrique francophone reste pauvre, trop pauvre, où la survie des populations, malgré les terres arables et la richesse du sol et du sous-sol,  est assurée par le secteur dit informel ou l’économie de la débrouille quotidienne.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre une monnaie locale qui peut bien cohabiter avec le cours légal en vigueur qu’est le F Cfa dans une Afrique en pleine transformation avec l’économie sociale et solidaire. L’économie sociale et solidaire cohabite avec le secteur informel. Ce sont 45% de nos économies et pourvoit en activités femmes et jeunes. C’est une soupape de survie pour 60% de nos populations qui se trouvent  en marge des activités dites formelles et structurées. Le secteur formel absorbe au plus 30% de la force de travail, avec le secteur primaire comme source de travail en l’absence d’une industrialisation intensive en main-d’œuvre.

Une  monnaie locale est donc  un intermédiaire d’échange circonscrit dans un territoire ou une communauté bien délimitée, avec souvent des protocoles digitaux ou numériques, à l’exemple  des crypto-monnaies.  Elle peut ainsi servir à régler les achats du quotidien auprès d’agents économiques (ménages, entreprises, associations et collectivités) qui l’acceptent comme moyen de paiement. C’est un levier d’inclusion monétaire et financière que nos Etats n’ont pu réussir  après  60 ans d’indépendance. En Afrique au Sud du Sahara, le taux de bancarisation dépasse à peine 12%,  d’où l’essor des systèmes de transfert d’argent avec les micro-paiements  mis en place par les opérateurs téléphoniques.

La monnaie locale permet d’encourager l’économie locale en favorisant le commerce et la production de proximité. Sa mise en place fluidifie  la micro-activité en complément du secteur économique structuré  et formel comme un prisme entre une monnaie imposée depuis 60 ans  et une politique monétaire désarticulée par rapport à nos besoins réels.

C’est une proposition utile et innovante que l’établissement d’une monnaie locale. D’ail­leurs, même nos banquiers centraux toujours timorés, ont saisi la balle au rebond avec une législation sur les établissements de monnaie électronique. Il nous faut des approches volontaristes pour combattre la pauvreté dans nos pays et oser l’innovation.
Moustapha DIAKHATE
Ex Conseiller PM
Expert et Consultant Infrastructures