La démocratie sénégalaise serait-elle l’incarnation du «rocher de Sisyphe» ? Les constitutionnalistes, soupçonnés de manipulation à la solde d’un régime, se jouent-ils du Sénégal ? Ces questions resteront encore longtemps sans réponse, tant que notre Cons­titution n’est pas affranchie des appétits voraces et égoïstes de nos hommes et femmes politiques qui ne veulent pas rompre avec les délices du pouvoir. Les prévisions de la météo politique n’annoncent encore rien de rassurant pour cette fin de saison ou de mandature d’une première génération dite postindépendance qui accède au trône. Pourtant que d’espoirs avait-elle suscités ! Espoir d’en finir avec ce destin qui voue notre démocratie au supplice de Sisyphe, condamnée à un mouvement de perpétuel re­commencement. Le Sénégal retient son souffle d’ici à l’échéance des grandes élections de 2024. Cette période cache autant d’incertitudes que d’inquiétudes, mais elle n’en revêt pas moins d’opportunités pour sauver notre démocratie devant l’éternité. En effet, si inquiétante pour le Peuple que constitue cette courte période qui nous sépare de l’échéance de 2024, les risques sont encore plus gros pour Monsieur Macky Sall. Car, pour les trois raisons que nous allons étayer plus bas, nous essayons de faire une analyse des points qui rendent sa candidature au troisième mandat non jouable.

«La Constitution prévoit deux mandats consécutifs, je m’y conformerai et m’en irai à la fin de mon mandat en cours» : Monsieur Macky Sall trahi par son discours maintes fois répété.
Les spécialistes de la «VAR» politique, sur les réseaux sociaux, n’ont de cesse de passer et de repasser en boucle, aussi bien en français qu’en langues nationales, cet engagement pris devant le Peuple. Les experts du «Droit sénégalais», et par ricochet de notre Constitution, qui prévoient, en règle générale, de ne pas contrarier la volonté du Peuple quand celui-ci se prononce, ne devraient pas rater cette occasion pour régler cette question liée au mandat. Car, pour le moins que l’on puisse dire, une majorité ne saurait être plus claire que celle sortie du référendum de 2016 et maintes fois rappelée par le premier des Sénégalais, en se mettant lui-même hors de course. Par conséquent, toute autre décision contraire à cette disposition, presque unanimement légitimée par le Peuple, va en guerre contre celui-ci. Et quand celui qui a juré devant le Peuple de défendre ses intérêts en toutes circonstances, se retourne contre celui-ci, il ne devrait pas être surpris par la riposte légitime de son mandant. En d’autres termes, pour cette question liée au mandat, Macky Sall s’est enfermé lui-même et a réduit sa marge de manœuvre à deux choix : soit son engagement est sincère et il s’en va à la fin du mandat en cours et le Peuple sénégalais en sort grandi, soit il agit autrement et il bute sur une résistance qu’il a lui-même légitimée. Ce qui ne manquera pas de faire des dommages collatéraux pour le pays. Ce bilan qui consisterait à ensanglanter le Sénégal, Macky Sall est-il prêt à le faire ? Qui sait ? En tout cas, pour celui qui est censé être fait au bénéfice du Sénégal, les pipelets de l’armée mexicaine peinent à le défendre et suent sang et eau pour arrêter le déluge qui est en passe de couler leur embarcation. Existe-t-il, vraiment, ce bilan ? Monsieur le Président, pensez-vous vraiment que votre troisième mandat peut être halal ?

Bilan : de quoi parle-t-on ?
Si le vocable bilan en politique renvoie à la réalisation d’un ensemble de biens matériels et immatériels, à la qualité et place de ceux-ci dans l’amélioration des conditions d’existence des citoyens et à la garantie de leur épanouissement dans leur Etat, alors les performances de Monsieur Macky Sall, Président, restent largement discutables, pour au moins ces trois raisons : à mon avis et à celui de bien d’autres citoyens, si le règne de Macky Sall devait être soumis à une évaluation, on aurait sûrement du mal à s’accorder sur quel registre faut-il le faire. Ce, parce que celui sur lequel on l’attendait, étant peut-être plus complexe et plus exigent, il l’a dévié dès l’entame de sa première phase. Disons-le, Macky Sall était plus attendu sur des questions de consolidation de l’Etat de Droit, des acquis démocratiques et de bonne gouvernance ; dernier point savamment conceptualisé par son génie à travers «la Patrie avant le parti». Formule malencontreusement devenue «la fratrie avant la Patrie». Aussi, sur un autre registre, économique par exemple, les problèmes lancinants liés au chômage des jeunes, aux mécanismes de création des richesses, aux nécessaires réformes du cadre agro-économique (pour ne citer que ceux-ci), pour mieux l’adapter aux réalités de notre tissu social et démographiques afin de créer les conditions d’incitation et de dynamisation des initiatives économiques locales et territoriales, étaient aussi attendus. A ce niveau, la seule réforme de taille entreprise durant son règne et sur laquelle on attendait beaucoup, n’a finalement produit que des éléphants blancs. Je veux parler de ce passage de l’Acte II à III de la Décentralisation. Le rôle que pouvaient jouer les collectivités territoriales a été dévoyé et la politique politicienne a eu le dessus sur les véritables missions de développement. Sa seule in­nova­tion visible sur le terrain a consisté en une politique de saupoudrage et de subvention à tout va. Je veux nommer ce nouveau dispositif déployé sur fond de milliards destinés plus à fidéliser une clientèle politique qu’à atténuer les dures réalités de la pauvreté, encore moins à sortir les couches démunies de la précarité. Monsieur le Président, le Sénégal n’a pas les moyens de soulager la pauvreté du monde rural en le soumettant à un régime de subvention en permanence. Cette politique sociale d’un autre âge a montré ses limites sous d’autres cieux. Le monde rural a besoin d’une politique hardie et drastique de développement, seul gage de le sortir de la pauvreté. Aucune politique basée sur la subvention permanente n’a éradiqué la pauvreté, encore moins produit le développement, nulle part dans le monde. Pour en terminer, osons le dire, la politique de subvention ne peut constituer le bilan d’un président de la République. Pas plus qu’une politique d’investissement à coup de milliards dans des infrastructures ne saurait traduire une réussite pour deux mandats consécutifs. Primo, parce que c’est du domaine des prérogatives régaliennes les plus basiques d’un pouvoir que de construire des routes et des ponts et autres pistes ; secundo, aucun président de la Ré­publique n’est élu sur la base de promesses du genre «je vais construire des autoroutes, des pistes et des ponts». Le Séné­gal, à lui seul, peut mobiliser au minimum 100 entrepreneurs capables de telles réalisations, si on met à leur disposition un volume financier équivalent à celui mobilisé pour réaliser ces infrastructures. Mieux, même ceux qui ne disposent pas d’une telle manne financière, leur bonne carte de visite auprès des bailleurs de fonds pourrait suffire pour le faire. Tertio, vous êtes si nombreux parmi les lecteurs de ce texte à vous accorder avec moi que, dans un prisme strict du développement, l’option d’un régime pour les infrastructures sociales à ou­trance en vue de vanter son bilan, a une signification peu glorifiante. Car cela s’appelle dans «les théories de développement» les plus courantes, le choix d’une «hypothèse basse», la moins ambitieuse et très défaitiste dans l’échelle de classification des modèles. Ceci étant dit, nous passons à la dernière raison qui fait que le troisième mandat de Monsieur Macky Sall ne peut pas être halal.

Des griffes du despotisme au fauteuil présidentiel, seule la démocratie peut le faire…
Si nous interrogeons l’histoire du cheminement de notre démocratie balbutiante, nous n’irons pas loin dans les archives avant de tomber sur les empreintes d’un combat héroïque qu’une frange du Peuple a livré, pour extraire celui qui tente aujourd’hui de malmener ses précieux acquis des «griffes» de son mentor de l’époque. Est-ce que Monsieur Macky Sall se rappelle de cette journée de janvier 2009 durant laquelle une liesse populaire l’a accompagné, pour déférer à une convocation de la police, au Commissariat central. Ou bien sont-ils des Maliens ceux qui formaient cette marée humaine ? Je peux concéder à celui qui me rétorque que cette foule ne s’était pas mobilisée pour défendre Macky Sall, mais pour sauvegarder leur précieux outil qui s’appelle la démocratie. Certes, ce qui est vrai. Mais l’un comme dans l’autre, cela lui a profité non ? C’est cela la démocratie. «Tous pour un, un pour tous et tout le monde y gagne.» Et, un ami m’a même soufflé avoir aperçu Ousmane Sonko à travers la foule, ce jour-là. Rien de surprenant de ce que je connais de l’homme, pour son attachement aux principes républicains. Non monsieur le Président, regardez le rétroviseur, le Peu­ple attend votre retour d’ascenseur qui tarde. Mais, sachez seulement que le troisième man­dat n’est pas halal au Séné­gal.
Dans un précédent texte paru dans le journal Le Quotidien du jeudi 4 août 2022, j’avais insisté sur le fait que cela peut se révéler un potentiel danger que les institutions ne s’adossent pas sur des appareils politiques éclairés. Or, point besoin de sondage pour m’assurer que nombreux sont les concitoyens qui sont d’accord que c’est une armée mexicaine qui représente ce que l’on appelle sous d’autres cieux, la majorité présidentielle. Ceci étant, le Président ferait mieux de s’occuper à organiser son groupe. C’est vrai que cela peut paraître une analyse tirée par les cheveux, mais comme nous l’ont fait comprendre les spécialistes de l’aviation, les deux temps les plus délicats dans le parcours d’un avion, sont le décollage et l’atterrissage. Une simple projection d’une réalité à une autre nous pousse à penser que les deux moments les plus fatidiques d’une armée non disciplinée doivent être le début et la sortie d’une campagne, militaire, s’entend. Pour être plus sérieux, je veux tout simplement dire qu’il est plus que jamais venu l’heure pour le chef, de parler à ses militants si peu formés et moins soucieux, voire qui ignorent TOUT des règles de fonctionnement d’un groupe de cette nature.
Plus qu’à ses seuls militants, il faut se faire entendre par cette frange de la population qui commence à sortir des propos aigres-doux en destination des habitants de son jardin d’Eden électoral, où il compte un des alliés les plus gênants, pour paraphraser Adolf Hitler (ma référence à lui s’arrête là), qui parlait ainsi à son ami Mussolini. A vrai dire, il n’y a pas encore de feu qui se signale et nous ne le souhaitons pas. Mais, comme l’enseigne ce penseur italien qui disait que c’est à la queue que se trouve le venin, nous sommes tous tenus de veiller. Veillons tous à ne pas laisser celui-ci (venin) mûrir. C’est dans l’œuf que nous devons le neutraliser. Monsieur le Président, que Dieu fasse que vous ne graviez pas votre nom dans l’histoire du Sénégal de la pire des manières, c’est le moins que je puisse vous souhaiter.
Mais, accepter que le «troisième mandat» n’est pas halal reste le meilleur des antidotes pour vous parer de ce risque.

Issa Amadou NDIAYE
Membre fondateur de l’Alliance pour la République (Apr)
dans la région de Matam insa.njaay@gmail.com