Dans cette interview, le secrétaire général du Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (Saes) s’est penché sur divers sujets relatifs à l’enseignement supérieur dont la question de la retraite, principal motif de la lutte syndicale. Il a également donné son avis sur la qualité des enseignements et les difficultés auxquelles fait face le système éducatif sénégalais.

Ces derniers temps, le point phare de vos revendications est la question de la retraite. Quelles sont vos préoccupations ?
Effectivement ! C’est quand même sur la base d’études scientifiques que nous avons posé la question de la retraite des enseignants du supérieur, mais aussi de façon générale la question de la retraite au Sénégal, parce qu’il faut rappeler quand même que le Saes ouvre la voie. Cette question de la retraite transcende les enseignants du supérieur. C’est pourquoi M. le président de la République a décidé de faire de la retraite le thème de la deuxième conférence sociale. Donc c’est sur la base d’un constat que nous posons le débat parce qu’aussi, il faut le dire, si vous prenez le salaire d’un enseignant du supérieur, il y a beaucoup d’indemnités. Or celles-ci ne seront pas prises en compte dans le calcul de la pension de retraite. Ce qui fait qu’aujourd’hui le taux de remplacement tourne autour de 28%. Cela veut dire que quelqu’un qui a un niveau de salaire tant (il ne donne pas de montant), il perd les 72% de son salaire quand il part à la retraite. Ce qui fait qu’en ce moment nous avons beaucoup de difficultés quand nous regardons nos camarades qui sont partis à la retraite et qui vivent dans des situations de misère. Il faut oser le dire. Et ça a ouvert les yeux aux enseignants du supérieur, et c’est devenu une revendication, 85% portée par tout le monde.

Que compte faire le Saes pour obtenir gain de cause ?
On ne peut pas dévoiler notre stratégie, mais quand même je peux dire que nous privilégions d’abord le dialogue avec les autorités. C’est notre première stratégie. Maintenant, si elle ne paie pas, nous allons tout simplement évoluer dans la lutte pour aller vers un durcissement du combat.

D’année en année, on note que la qualité de l’enseignement régresse dans les universités publiques. Qu’en est-il du degré de responsabilité des enseignants ?
En tout cas, il ne serait pas de la responsabilité du Saes. Je peux vous dire que le Saes est l’un des rares syndicats qui observent des mouvements de grève et qui essaient de trouver des solutions, non seulement pour résoudre les problèmes posés, mais pour sortir de la crise. En regardant ce qui se passe à la Faculté des lettres et à la Faculté des sciences et techniques, vous vous rendrez compte que beaucoup d’efforts ont été faits. La Faculté des lettres qui concentre près du 1/3 des étudiants de l’Ucad est retombée sur ses pieds. Cela veut dire que des sacrifices ont été consentis par les enseignants. Nous demandons seulement au gouvernement de nous aider pour que ces efforts ne soient pas sans conséquences.

Mais les qualités d’enseignement ne sont plus les mêmes…
Mais les qualités des enseignements il faut l’analyser sous plusieurs angles. Quand vous avez un sureffectif d’étudiants et un sous-effectif d’enseignants, quand vous avez un problème d’infrastructures, de budget, mais forcément cela ne peut pas être sans conséquence sur la qualité. Je peux vous dire que ce n’est pas la qualité intrinsèque des enseignements qui est mise en cause, mais c’est du fait que nous ayons des difficultés budgétaires, infrastructurelles et aussi du taux d’encadrement. Donc ces faits doivent être pris en considération pour arriver à dire est-ce qu’il y a ou pas des performances.

Ne peut-on pas dire que les enseignants du supérieur s’occupent plus de leur carrière que de la bonne marche de l’université publique ?
Non, bien au contraire ! Vous savez, quand nous parlons des performances d’un enseignant-chercheur, il y a plusieurs éléments qui entrent en compte. Ce n’est pas seulement la qualification qui fait que l’enseignant soit performant. Il y a ses conditions de vie, ses conditions sociales. Il y a surtout l’environnement dans lequel il évolue. Il y a également les moyens dont il doit disposer pour pouvoir dérouler correctement son enseignement. Donc on ne peut pas déconnecter tous ces éléments dans la qualité de l’enseignement. Quand vous regardez les revendications, vous verrez que tout ce que nous avons demandé à l’Etat, il n’y a que la question de la retraite et des indemnités qui concernent les enseignants. Tout le reste, ce sont des revendications plus ou moins destinées à la bonne marche de l’enseignement supérieur.

On voit de plus en plus les universités situées en Afrique du Nord occuper la première place des classements, comme récemment indiqué par le magazine Jeune Afrique. Quelle appré­­ciation en faites-vous ?
Je n’ai pas encore connaissance de cette étude. Je voudrais d’abord la lire pour voir sur quelles bases elle s’est appuyée pour faire son classement. Cependant, ce que je peux dire, globalement c’est que l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar a dépassé ses capacités depuis très longtemps. Ne serait-ce sur ce point de vue, il peut y avoir un impact négatif sur ses performances. Et malgré tout cela, du point de vue du classement, nous sommes toujours bien positionnés par rapport aux autres universités francophones d’Afrique. Donc, je ne sais pas de quelle performance parle cette étude dont vous faites allusion.

Ne pensez-vous pas qu’on soit allé un peu vite en besogne avec l’Université virtuelle dans la mesure où certains de ses étudiants tardent à valider leur Licence depuis plusieurs années ?
Le Saes a été dès le départ contre l’orientation des bacheliers vers l’Université virtuelle. Je ne vous donne pas mon point de vue personnel, mais celui du syndicat que je dirige et qui a toujours été contre. En effet, nous pensions et continuons à penser que les enseignements à distance ne sont pas réservés pour les années de Licence. Ils pouvaient le faire pour les étudiants de Master et autres, mais pas pour le premier cycle. Sociolo­gique­ment parlant, ce n’était pas évident pour des jeunes qui viennent juste d’avoir le Bacca­lauréat. Leurs parents ne comprendraient pas que leurs enfants restent à la maison et leur disent qu’ils suivent des cours en ligne. Et techniquement, vous voyez les résultats. La première cohorte ne parvient toujours pas à valider la Licence. Il faudra faire une évaluation objective de la question pour voir comment remédier à cette situation. Le Saes reste convaincu que les étudiants, avant la validation de la Licence, doivent être orientés vers les universités physiques.

Nous sommes dans une année pré-électorale. Vos revendications n’ont-elles pas des motivations politiques ?
Absolument pas ! Ces revendications sont inscrites dans un agenda. Et si le gouvernement avait fait ce qu’il avait à faire, il n’y aurait pas aujourd’hui un plan d’action de la part du Saes. Comme je l’ai dit tantôt, ces accords datent de 2016. C’est parce que l’Etat a laissé traîner les choses jusqu’en 2018 qui est une année pré-électorale que l’on peut penser qu’il y a une corrélation entre nos revendications et le moment. Il faut complètement déconnecter nos revendications de l’agenda politique.

2018 a été décrétée par le régime actuel année sociale. Chose tardive ou mauvais départ ?
Faux départ ou départ en retard, je ne sais pas. De toute façon, nous jugerons sur les actes. Nous attendrons sur le plan social quelles sont les mesures qui ont été prises et quelles sont les améliorations apportées dans le quotidien du Sénégalais.

Le retard dans le paiement des bourses a encore secoué le campus. Qu’en pensez-vous ?
Nous avons sorti un communiqué en ce sens pour fustiger cette violence. Les autorités doivent prendre leurs responsabilités pour nous éviter ce genre de situations. La question c’est quoi ? C’est que les bourses doivent être payées à temps de même que les salaires des enseignants. Pourquoi attendre que des étudiants sortent dans la rue pour que les allocations soient payées ? A chaque fois que les étudiants sortent, on trouve les moyens pour les payer. Cela veut tout simplement dire que les moyens étaient là. Il faut que la culture de la violence soit bannie. On ne peut pas accepter qu’il y ait de la violence dans l’espace universitaire.

Quelles solutions préconise le Saes pour régler de façon définitive les crises universitaires ?
Il y a eu des concertations sur l’avenir de l’enseignement supérieur. Et des revendications ont été formulées. Il faut avoir la culture de l’évaluation progressive des politiques qui sont souvent mises en œuvre. Je pense que si l’on parvient à associer ces deux-là, on peut arriver à des lendemains meilleurs pour notre université, mais aussi mettre à la disposition des universités les moyens dont ils ont besoin pour faire un travail de qualité.