Monsieur Sonko,
Je tiens d’emblée à ce vous notiez que depuis 1985, j’ai arrêté de faire la politique partisane. Que j’ai salué et parlé aux Présidents Senghor, Dia, Diouf et Wade. Je n’ai jamais salué ni parlé au Président Macky Sall.
Vous avez récemment déclaré : «Le Président Macky Sall et son gouvernement n’aiment pas la Casamance.» «Nous sommes disposés, si tous les acteurs le souhaitent, à jouer un rôle pour que cette situation soit derrière nous. Mais on ne peut pas prendre une initiative, dans un pays qui s’appelle le Sénégal, avec un Etat.»
En tant que Casamançais, tout comme je l’avais fait en mai 2019 (journal Le Soleil du 2 mai 2019, page 19) -lorsque Monsieur Salif Sadio avait déclaré qu’il «continuait la lutte pour l’indépendance de la Casamance»-, je m’adresse à vous.
Je n’oublierai jamais les propos tenus par feu le député Ibou Diallo (en mandingue) au cours d’un meeting de l’Union progressiste sénégalaise tenu à la place Gao de Ziguinchor. Devant feu le ministre Emile Badiane. «Nka Moyi Maul ka fo, Emile-Ibou, Ibou-Emile ! Abukaké woniama ! Na kumata taw ! Emile sa fonié Ibou, taa kanaté !» («J’entends dire Emile-Ibou, Ibou-Emile ! Cela ne se passe pas comme cela ! Lorsque j’entends le coup de feu, Emile me dit, Ibou, va l’égorger !») Et voilà comment ce tandem a fondé une tradition politique faite de concertation, pour construire des consensus sur ce que peuvent être les intérêts de la région.
C’est un officier casamançais, le colonel de la police, Bakary Sané, du Groupement mobile d’intervention basé à Thiès, qui a commandé et fait face aux manifestants du Mfdc devant la Gouvernance le fameux 30 décembre 1981 à Ziguinchor.
Depuis le début de ce conflit, les cadres casamançais -pas seulement ceux organisés dans des associations- sont demeurés républicains. Ils sont restés loyaux vis-à-vis de l’Etat et se sont investis, de façon diverse mais résolue, pour la paix. Sans tambours, ni trompettes.
Je vous rappelle que sur cette question, les Présidents Abdou Diouf et Abdoulaye Wade étaient très clairs : la paix d’abord, le développement ensuite. Le Président Diouf allant même jusqu’à scinder la région de Casamance en deux ; ce que le Président Wade aggravera en créant la région de Sédhiou. C’est le Président Macky Sall qui a abandonné cette option manifeste pour l’immobilisme. Il s’est engagé «pour une paix des braves, sans vainqueur ni vaincu» ; pour «construire (une paix) dans le respect de la dignité de tous les acteurs, mais aussi et surtout, sur un véritable développement territorial». Et c’est vrai qu’en moins de sept ans, il a répondu -en termes de réalisations- aux aspirations profondes des Casamançais. Le dragage du fleuve Casamance par exemple, est une revendication des commerçants à travers la Chambre de commerce depuis 1966 ! Le pont sur le fleuve Gambie à Faraféni était réclamé depuis l’indépendance en 1960 !
Malgré toutes ses réalisations, vous vous êtes porté candidat contre lui à l’élection du président de la République en 2019. Alors que vous saviez qu’objectivement, vous ne pouviez pas être élu. Manifestement, votre objectif était de dresser les Casamançais contre lui, qui a travaillé et qui travaille pour la Casamance.
Qui donc pensez-vous pouvait, mieux que le candidat Macky Sall, continuer à mettre en œuvre son programme pour la Casamance ?
Qui, avant lui, a accepté de négocier avec toutes les factions du Mfdc à l’étranger, comme elles-mêmes l’avaient demandé ?
Votre insistance, Monsieur Sonko, est peut-être le signe d’un agenda caché. Mais elle a une signification politique : vous travaillez pour des officines à découvrir.
Monsieur Sonko, je suis bien placé pour savoir que dans la Région naturelle de la Casamance, les différentes communautés qui y habitent et y coexistent depuis plusieurs siècles partagent, préservent et protègent les mêmes préliminaires de la danse et souvent les mêmes tam-tam (tambours) ; les mêmes règles d’attribution et de reconnaissance d’une victoire à l’issue d’un combat de lutte ; les mêmes rites et cérémonies de préparation, d’entrée et de séjour dans la forêt sacrée ainsi que les buts poursuivis à travers cette institution culturelle ; les mêmes formes de vie religieuse ou d’accomplissement dans la foi, à commencer par les chants religieux, singulièrement dans l’Islam. A l’opposé des confréries. Depuis quelques années d’ailleurs, des khalifes y sont élus dans le Fogny et le Boulouff (terroirs du département de Bindiona). Les polygames vivent avec toutes leurs épouses dans une seule maison. Ces valeurs culturelles ou éléments de culture commune transcendent les valeurs culturelles propres à chaque peuple (ethnie ?) ou communauté. Et voilà pourquoi, on peut parler d’une identité casamançaise jalousement entretenue et fièrement portée par des mandingues, des peulhs, des mancagnes, des jaûlas, des baïnounks, des manjaques, des balantes, des papels qui ne sont ni membres ni sympathisants du Mfdc. Les ouolofs les y accompagnent pour ainsi dire comme alliés en renonçant, par exemple, à injurier leurs enfants devant leur mère et vice versa. Ce qui est sacrilège pour les autres. Tout ceci, parce qu’ils sont conscients que ce sont ces valeurs qui ont permis et qui justifient leur coexistence pacifique. Mais ils se sont toujours véritablement engagés pour poursuivre la construction de la Nation sénégalaise. Il faut les y accompagner honnêtement et humblement.
Il faut aussi reconnaître, monsieur Sonko, que sur ce chemin, le Président Macky Sall a posé des actes qui sont de puissants facteurs de construction nationale :
Les routes pour augmenter la mobilité au sein des régions et entre les régions dans tout le pays. Ce qui permet aux Sénégalais de se découvrir, de se rapprocher, de se reconnaître et de s’accepter davantage. Ainsi que l’essor et le développement du marché national.
Le baptême des deux bateaux assurant la liaison Dakar-Ziguinchor-Dakar des noms d’Aguène et Diambone considérés par les jaûlas et les sérères comme leurs ancêtres communs. Ce qui perpétue et vivifie cette appropriation, consolide leur coexistence ainsi que leurs disponibilités réciproques au profit de la République.
Nomination de l’Ambassadeur Paul Badji à Paris, la plus grande ambassade du Sénégal dans le monde.
Nomination du Médecin-Colonel Bakary Diatta au grade de Général et comme Directeur de l’Hôpital Principal de Dakar.
Hommage national à Jules François Bertrand Bocandé.
Hommage national à Bruno Diatta.
Vous voyez bien, monsieur Sonko, que c’est donc bien vous qui n’aimez pas la Casamance. Et je suis sûr que petit à petit, les Casamançais s’en apercevrons et vous le diront tout net.
C’est dommage qu’à votre âge, vous ayez déjà choisi de vous investir dans la démagogie.
Veuillez, monsieur le Député, me croire.
Landing BADJI
Avocat à la Cour
Consultant international
lbadji240@gmail.com