L’artiste chanteur et compositeur Ablaye Mbaye est décédé hier à Dakar, des suites d’un malaise en plein studio. Le monde de la culture pleure cette voix vigoureuse et touchante qui chantait Nila Démé (Ndlr, C’est comme ça que cela s’est passé), son premier tube produit par Youssou Ndour. Retour sur le parcours d’un artiste singulier par sa carrière, son talent et sa fin tragique parce que subite et inattendue.

Le chanteur non voyant Ablaye Mbaye est décédé hier, des suites d’un malaise en plein studio. L’auteur compositeur rend ainsi l’âme moins de deux mois après la disparition de son père El hadji Dame Mbaye, rappelé à Dieu en novembre dernier à l’hôpital Abass Ndao. Il est mort l’arme à la main dira-t-on dans le jargon. Et même si on ne peut être heureux qu’une personne meurt, Ablaye, pour le croyant, a eu une belle mort. Car il est parti en vivant sa passion : la musique. Quelle élégance pour un artiste de sa trempe, qui a toujours su égayer son public. Un public pas que dakarois. En réalité, l’artiste non –voyant qu’il était ne manquait pas de sillonner les coins les plus reculés des différentes villes sénégalaises pour offrir ses prestations. Il était très aimé. Non parce qu’il était handicapé, mais parce qu’il savait égayer par de belles mélodies. Ses belles reprises de grands classiques faisaient de lui un talent  à part et un artiste à part entière. Pour le Sénégal, il incarnait une singularité et une richesse dans l’art qu’il pratiquait.
Né en 1981 dans le quartier dakarois de la Médina, Ablaye Mbaye, informe-t-on, s’est familiarisé avec l’écriture braille à l’Union nationale des aveugles de Thiès avant de se lancer très tôt dans la chanson à côté du défunt Demba Dia dit Rock-mbalax. Il a donc été un ancien pensionnaire de l’Institut national des aveugles de Thiès, avant de se révéler au monde du show biz par l’émission Kaddu Khaleyi de la Rts en 1986. Par la suite, il a été coopté et produit par Youssou Ndour qui a guidé ses premiers pas sur la scène musicale. Très proche du «Roi du Mbalax», Ablaye Mbaye a d’ailleurs assuré le chœur sur le morceau Birima produite par Youssou Ndour. La star planétaire avait surtout produit son premier album Nila Démé (Ndlr, C’est comme ça que cela s’est passé), en 1995. Ce fut une révélation. Le public apprécia et le chanteur non-voyant enregistra ensuite l’album Yaye Balma où il est accompagné dans le titre Am Saxul par son mentor ainsi que d’autres grands noms de scène. Sur Yaye Balma (Ndrl, Pardon maman), un hommage à sa mère et aux femmes en général, il est, note-t-on, resté «fidèle à la rythmique populaire wolof». Il y parle aussi des problèmes des enfants de la rue, Xaléyi. Et, dans le titre  Am Saxul, il fait résonner sa belle voix à côté de grands vocalistes tels que Youssou Ndour, Salif Keïta et Thione Seck. Généreux d’esprit, son tube Musicien est par ailleurs un vibrant hommage à tous ces instrumentalistes qui de près ou de loin abattent un travail colossal derrière le lead vocal. Entre autres compositions, on peut également retenir de lui : Am Saxul, Guède et Waat.

La descente aux enfers
Si l’on observe bien son parcours, Ablaye Mbaye dès l’âge de 14 ans a bouleversé la hiérarchie depuis sa première production. Membre d’une grande famille de griots de la Médina à Dakar, l’auteur, compositeur et interprète, qu’il a été, était également le neveu du regretté tambour major Vieux Sing Faye et le cousin de Mbaye Dièye Faye, percussionniste de Youssou Ndour et fondateur du groupe Sing Sing Rythmes. C’est dire qu’il avait autour de lui, tout pour réussir dans sa carrière. D’ailleurs, des sources informent qu’au milieu des années 90, quand Ablaye Mbaye se révéla au public sénégalais, nombre de mélomanes virent en lui une valeur sûre de la musique. Pourtant le musicien détenteur d’un disque d’or avec le Mafia K’Fry pour un duo avec Kery James, a failli rater son destin. Car, après son succès inattendu dans les années 90, il avait, en 2005, pris la tangente pour tenter une aventure en Europe. Dans un entretien réalisé à l’époque par les journalistes Fatou K Sène, Woury Diallo et Mbagnick Ngom dans Walfadjri Quotidien, il renseignait en effet au sujet de cette aventure, que quelques mois seulement après son départ du Sénégal, s’était ouverte une des pages sombres de sa carrière.

Puis…le couronnement
En réalité, Ablaye Mbaye était éclipsé de la scène par une maladie. Mais le jeune artiste n’en baissera pas moins les bras. Il trouve sa force dans l’amitié que lui vouent des compatriotes établis en France, avec en première ligne Waly Timéra. Un nom qu’il évoque quasiment à chaque bout de phrase. Après près de quatre ans d’absence, il était donc revenu au bercail avec un album intitulé Maag Na, 2005. (Ndlr, J‘ai grandi,). L’opus enregistre la participation de plusieurs artistes dont Jean Philippe Rykiel. Mais entre-temps, il a multiplié les duos avec Passi et Dizis la Peste. De sa riche production artistique, on retiendra également des albums comme Agnès, 2001 et Xaléti,1998. Mais aussi des titres qui sonnent comme des leçons pour la vie. C’est le cas de Wer et surtout  Diew qui  font allusion aux commérages stériles. Sans oublier le morceau Loubess qui fait le procès de la traîtrise.
Ablaye Mbaye a été en somme un grand artiste. Grand par sa trajectoire, grand avec sa capacité d’adaptation et son groove qui lui permet de convoquer tour à tour et sans jamais perdre la gam­me toutes les compositions d’illustres noms de scène. Cet artiste musicien a été enfin grand par sa manière de nous quitter. Une belle leçon d’artiste !
arsene@lequotidien.sn