La logique des répressions à l’aveuglette a repris ses plein-droits dans notre pays. On peut se dire qu’en termes de restriction des libertés publiques, de menaces aux libertés d’opinion et d’expression, de logique de contrôler les consciences et de policer l’espace public, notre pays est en train de battre tous les records, en un temps fou. Il ne peut se passer une semaine sans que des menaces ne soient adressées à un acteur du débat public sur ses interventions, ou des convocations policières soient servies pour des opinions émises. Nos services de sécurité et notre Parquet dégainent plus vite que Lucky Luke, à toute supposée incartade, publication sur les réseaux sociaux ou intervention radio-télévisée, qu’on se demandera si une escouade dédiée à scruter du contenu et surtout à disséquer des interventions d’opposants ne serait pas sur pied. Cela, pour faire office de police des pensées et se positionner en tyrans absolus, tapant fort à toute sortie pour installer une peur et empêcher la critique sous toutes ses formes.

Moustapha Diakhaté fait de nouveau les frais d’un rodéo judiciaire qui n’est rien d’autre qu’une entreprise de musellement des voix dissidentes au concert voulant faire de l’inertie, de la couardise et du reniement la norme du débat public. Le pays aura canonisé des saints qui sont détenteurs du pouvoir public et ont la charge de nous diriger, mais c’est un crime que de leur apporter une antithèse, des contre-arguments ou des critiques musclées. L’offense au chef de l’Etat et l’offense à une personne exerçant une partie des prérogatives du président de la République sont les deux matraques tenues au-dessus de toutes les têtes qui oseraient se prononcer dans le débat public. Le Ministère public se trouve toute la liberté de requérir à tout-va des peines d’emprisonnement ferme, tout un procédé pernicieux dans les convocations des individus jusqu’à leur jugement est en branle pour instiguer une peur et les dépouiller de leur dignité. C’est face à un tel esprit que des gens libres et courageux comme Moustapha Diakhaté sont essentiels pour ce qui reste du modèle démocratique sénégalais. Ils ne ploieront pas malgré la lourdeur des sanctions, ils resteront debout malgré tous les efforts déployés dans l’adversité.
Le pouvoir quand il est utilisé pour sa force brute n’est guère différent d’un feu grégeois qui peut facilement consumer l’âme, tordre l’esprit et écarter toute lucidité. En ne se prémunissant pas de retenue, de compréhension et de grandeur, l’ivresse est vite venue et tout ne devient que démonstration de force brute pour faire plier, mettre au pas, créer un climat artificiel de terreur et pousser tous les esprits libres à bout. Sur la durée, certains esprits se lasseront, d’autres se feront dompter, mais il restera malgré tout une horde de têtus. Ceux-ci, droits dans leurs bottes et conscients des prix et sacrifices qui nous ont donné démocratie et libertés, n’hésitent à aucun moment à faire face. Moustapha Diakhaté est de cette trempe, cette catégorie d’hommes libres qui n’ont pas froid aux yeux et que la frousse, le doute ou l’adversité ne font pas détaler. Il est constant dans son verbe, aussi dur soit-il. Cela, il l’a confirmé en disant tout haut qu’il prie sa défense «de ne pas introduire une demande de liberté provisoire».

«S’il faut rester une éternité dans ma prison je le ferai, et je resterai toujours droit dans mes bottes et attaché à mes principes républicains.» Voilà des paroles d’un homme qui ne trahit pas son âme de démocrate et de combattant politique, refusant d’édulcorer son discours pour plaire. Il faut préférer une flopée de condamnations pénales qu’une restriction de vocabulaire pour reprendre le mot de Erri de Luca. Un démocrate dans l’âme, un enfant de la République et tout Sénégalais nourri de l’esprit de débat et de contradiction qui ont toujours fait le charme de la vie publique dans ce pays, ne pourrait se satisfaire de cette entreprise expéditive voulant opposer les geôles à toute voix qui ne verse pas dans le sens de tresser des lauriers à nos nouveaux En hauts d’en haut.

Notre Société civile s’est emmurée dans un silence qui ne la grandit guère, après une décennie d’agitations et d’excitations sur tout et rien. On dirait que la plupart de ses membres se sont accordés à la devise dans les harems de souverains médiévaux de ne guère prendre parti au risque de se faire broyer entre des seins. Leur silence et leur refus de s’indigner ont fini d’installer un climat d’injustice et de répression liberticide, où toute critique formulée est un ticket pour la prison.

Une gouvernance sereine se doit d’être faite sans rancune et avec une ouverture d’esprit. La rancune, quand elle nourrit l’autoritarisme, n’est rien d’autre qu’un collier autour du cou, qui s’alourdit à force qu’on compte les coups et qu’on se promet de mâter tous les imprudents. A force de coups de bélier à toute effusion de parole et à tout pavé pondu, on peut se dire que le cou finira par rompre. Il est un temps où dans une chevauchée folle, un cavalier se décide de prendre le temps de casser son pas et d’aller au trot afin de reprendre ses esprits. S’il s’avère qu’il manque au cavalier la lucidité et la grandeur de reconnaître que sa chevauchée peut le mener à l’abîme, sa monture se doit d’être douée d’une raison pour entraver afin de les garder sains et saufs. Ne dit-on pas qu’un cheval de cavalerie doit être aussi intelligent que celui qui le monte ?
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn