Si Pikine, avec ses 6 députés, vient juste derrière Dakar (7), c’est en grande partie dû à la démographie de Keur Massar. Le maire, devenu député Bby le 30 juillet dernier, entend plaider pour la départementalisation de sa commune. Moustapha Mbengue, 43 ans, oublie son séjour carcéral de six mois pour se concentrer sur son séjour parlementaire de 5 ans.

«Je ne serai jamais un député figurant», promet le maire de Keur Massar, le visage déterminé, le doigt pointé comme pour incriminer la précédente législature. Fera-t-il mieux ? Il aura sa place à l’Hémicycle à partir du 30 septembre pour plaider, apprécier ou voter. Il fait partie des 125 députés de la majorité. Il doit son élection au département de Pikine qui a octroyé les six sièges à la coalition Benno bokk yaakaar (Bby). Le coordonnateur de l’Apr de la commune de Keur Massar va représenter ce département avec ses camarades de parti dont Awa Niang. Une partisane loin d’être son amie pour la conquête politique de la banlieue. «Dans chaque parti ou coalition, il y a des clivages et des sensibilités. Il n’y a pas d’animosité entre nous. A l’Assemblée nationale, il nous faut travailler main dans la main pour le Peuple et pour Pikine», prêche le militant de l’Apr. Adossé sur son divan, la main gauche sur la tête, l’homme au teint noir n’est pas un novice sur le terrain politique. Il y a connu des vertes et des pas mûres. Le début de son engagement en 1996 coïncide avec la naissance de la commune qu’il dirige actuellement. Il a fait son baptême du feu sous la bannière du Parti démocratique Séné­galais (Pds) comme secrétaire administratif adjoint. Entre la mairie de Keur Massar et lui, c’est une longue histoire. Le natif de Grand Médine y a débuté en 2002 comme conseiller municipal sous le magistère du maire libéral, Gamou Boye. Paré d’un léger et sobre boubou en laine, le visage accueillant, l’homme de petite taille avoue qu’il ne vit pas de la politique. «J’ai mon métier, je suis conducteur de travaux publics. J’ai travaillé avec Pierre Goudiaby Atepa de 2002 à 2009. J’ai conduit beaucoup de ses chantiers sur le plan international, j’ai fait beaucoup de pays (Mali, Guinée équatoriale, Gabon, etc.). La politique, c’est juste une passion et une volonté de changer les conditions de vie de mes concitoyens», dit-il d’une voix chantonnante en écarquillant les yeux.

«Mes six mois de prison…»
L’édile de Keur Massar n’oubliera jamais son passage au service des affaires domaniales. Pour une histoire de terrain vendu au quartier Darou Missette, il a séjourné en prison pendant six mois en 2013. L’expert en décentralisation estime être victime de ses ambitions politiques. «Ce dossier était vide. Comment peut-on me poursuivre pour faux et usage de faux alors que je n’ai pas signé ? C’était juste pour m’écarter du champ politique. Je montais en puissance et je constituais un danger pour mon ancien compagnon, l’ex-maire socialiste Mbacké Diop. Tout le monde savait que j’étais innocent», clame-t-il d’une voix montante, sur un ton amer, le visage renfrogné, la mine triste. Un séjour carcéral qui n’a pas altéré son attachement pour la politique. Ironie du sort, six mois plus tard, il devient le bourreau de son rival en remportant les élections locales de 2014. Contrairement aux autres maires, Moustapha Mbengue ne souffre pas de l’Acte 3 de la décentralisation. Pour lui, c’est dans l’ordre normal des choses car les élus municipaux doivent être autonomes et avoir des projets pour renflouer leurs caisses. Le tout nouveau parlementaire décline déjà sa feuille de route : «Je veux un nouveau type de sénégalais qui travaille pour la collectivité.»

«Membre fondateur de l’Apr»
Dans son salon, le quadragénaire ne peut pas fuir du regard l’image du président de la République. L’effigie de son idole est omniprésente sur les murs et les étagères. De la devanture de la maison à sa chambre, tout renvoie à l’Apr. Son appartenance politique détermine ses occupations et son cadre de vie. L’ancien militant du Pds nie avoir rejoint le train en marche. «Je suis un membre fondateur de l’Alliance pour la République (Apr). A cette épo­que, au sein du Pds, il y avait des Karimistes et des Mackystes. Lorsque Macky a commencé à avoir des problèmes, j’ai démissionné du Pds pour le rejoindre puisque je suis mackyste. Au départ, il n’y avait que moi, Mahmoud Saleh et Alioune Badara Cissé. Ensuite, Mbaye Ndiaye et Moustapha Cissé Lô nous ont rejoints», révèle l’originaire de Kalossy, dans le département de Linguère, avec un petit sourire, d’un air nostalgique de cette époque où tout a commencé.

«Ma priorité, la départementalisation de Keur Massar»
Moustapha Mbengue a en ligne de mire la départementalisation de sa commune. C’est l’un des combats qu’il compte mener à l’Hémicycle. Il ne peut pas comprendre, avec sa démographie et sa géographie, que Keur Massar reste toujours une commune. «Nous avons une superficie de 25 km² avec une démographie très galopante, 593 000 habitants. Une population plus importante que celle du département de Guédiawaye. Avec un seul maire, c’est quasi impossible de gérer cette grande commune. Nous faisons face à un manque d’infrastructures. Beau­coup de quartiers n’ont ni eau, ni électricité, ni poste de santé. Le budget est insuffisant par rapport aux besoins», déplore-t-il. Etant donné que le maire ne peut pas régler tous ces problèmes, le député élu promet de plaider pour l’érection de sa commune en département avec un budget conséquent. Au Parlement, il compte aussi proposer la construction d’une université scientifique spécialisée dans la gestion des ressources naturelles du pays.

«Je suis le premier maire non lébou»
Moustapha Mbengue dirige la mairie depuis 2014, six mois après sa sortie de prison. Depuis lors, il a remporté toutes les élections auxquelles il a participé. «Keur massar croit en moi, c’est ma base. La preuve, en quelques mois de préparation, j’ai gagné haut la main. J’ai su me frayer un chemin dans un milieu pas évident. Les lébous m’ont adopté. Je suis le premier maire qui ne soit pas issu de cette collectivité», se félicite-t-il d’une voix sûre. Aucun électorat n’est figé. C’est aux citoyens de choisir leurs dirigeants. Un choix pour un quinquennat ou deux qui fait réfléchir. «Moustapha Mbengue est un travailleur. Après trois ans d’exercice, l’impression est bonne. Il se débrouille. Même si je n’ai pas voté pour lui, je lui reconnais ses efforts et sa vision. Certes je suis lébou, mais avec ce qu’il a fait pour les commerçants, je lui donnerai désormais ma carte d’électeur», jure Fatou, debout, le doigt levé avec un grand sourire qui dévoile des dents blanches et espacées. Contrairement à cette dame, Mamadou Mbakhé Ndiaye est plus prudent et moins enthousiaste. L’étudiant en journalisme pense que tout n’est pas rose avec son maire. «La commune se développe petit à petit. Nous constatons les efforts de l’équipe municipale, mais ce n’est pas suffisant. Moustapha Mbengue peut faire mieux. Il entretient d’excellentes relations avec le président de la République. Par conséquent, Keur Massar doit en bénéficier», plaide-t-il. En outre, il estime que la jeunesse n’est pas assez prise en compte par l’autorité municipale. «C’est bien beau d’avoir des infrastructures de base, mais la jeunesse a besoin de cadre d’épanouissement. La culture est un parent pauvre chez nous. Dans son programme, il y avait la radio communautaire. Trois ans après, rien n’est fait. Notre localité a des journalistes en activité ou en formation, des animateurs et des artistes. La radio communautaire est une urgence pour nous tous», affirme-t-il. Son premier mandat arrive à terme dans deux ans. Ayant pris goût, il compte rempiler en 2019. Le candidat à sa propre succession semble sûr de son élec­torat. «Keur Massar est mon fief. Lors des Législatives, j’ai remporté 5 des 6 bureaux de vote de mon centre. Les résultats seront meilleurs en 2019», projette-t-il avec assurance. Cer­tains de ses collaborateurs dont Pape Alioune Sarr jugent que le maire est «très têtu» et s’arc-boute à ses idées, qu’elles soient bonnes ou mauvaises.

Mbengue sur un autre terrain : le football
Moustapha Mbengue, c’est aussi le sport, le football particulièrement. Il a longtemps fait vibrer les tribunes des Navétanes (championnat populaire). Il a évolué à Grand Médine et Keur Massar mais aussi en tant que «mercenaire» à l’Association sportive et culturelle Monaco de Ngaye Mèkhé. Son dernier trophée remonte à 2005. Avec l’équipe Aïnoumady, il a remporté la coupe du maire sous Pape Sagna Mbaye.
Stagiaire