Sans surprise, la Rwandaise Louise Mushikiwabo est la nouvelle secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif). L’ex-chef de la diplomatie rwandaise a bénéficié du soutien de la France qui a réussi à faire consensus autour de sa candidature. Mais ce soutien suscite la curiosité. Le Rwanda avait pris ses distances avec la France en abandonnant le français comme langue officielle au profit de l’anglais. Autre curiosité, ce sont les reproches faits au Rwanda en termes de démocratie et de respect des droits humains. Des valeurs fondamentales que doit promouvoir la nouvelle Sg de l’organisation.
C’était déjà une évidence ! L’ancienne ministre des Affaires étrangères du Rwanda allait succéder à Michaëlle Jean à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif). Louise Mushikiwabo, 57 ans, est la première Africaine à occuper ce poste. Soutenue par la France, l’Union africaine et l’écrasante majorité des 54 Etats membres de l’organisation, elle était la favorite. Depuis l’annonce officielle de sa candidature le 23 mai dernier en France, lors d’une rencontre entre les Présidents Emmanuel Macron et Paul Kagamé, le soutien de la France a suscité beaucoup de commentaires. La question que beaucoup d’observateurs se posent est de savoir ce qui se cache derrière le parrainage de cette candidature par la France. Cela, du fait que ces dernières années, le Rwanda avait pris ses distances avec la France, l’accusant d’être impliquée dans le génocide rwandais. Le pays dirigé par Paul Kagamé avait tourné le dos au français au profit de l’anglais comme langue officielle. D’ailleurs, selon le journal Le Monde, le Rwanda a même mis «fin à l’enseignement du français dans les écoles, en adoptant l’anglais comme langue nationale». Ce journal qui a interpellé la nouvelle secrétaire générale de l’Oif sur cette question renseigne que «Louise Mushikiwabo assure qu’il n’y a pas de contradiction entre la Francophonie et ce choix de privilégier l’anglais». «C’est aujourd’hui la langue de la Silicon Valley, de la technologie, de la recherche, des réseaux sociaux. C’est une réalité et, par ailleurs, l’essentiel de l’activité économique du Rwanda se fait avec l’Afrique de l’Est», avait-elle expliqué. Avec ce soutien qui a été décisif dans le choix de la candidate du Rwanda pour le poste de secrétaire général de l’Oif, on assiste à une volonté de la France de renouer des relations avec ce pays.
Rwanda, une dictature
La France veut-t-elle se racheter ? En tout cas, ce choix intrigue d’autant plus que le Rwanda est critiqué en matière de respect des droits de l’Homme. Même si du côté de l’Elysée on rétorque qu’il s’agit «d’élire une personne et non un pays», Louise Mushikiwabo, chef de la diplomatie rwandaise depuis des années, donc portant la politique extérieure de son pays, est identifiée à ce régime dont on accuse de saper «les principes fondateurs de la Francophonie». Le pouvoir de Kigali est soupçonné de traquer, d’arrêter et même d’exécuter des opposants. Le Monde rappelle qu’en mi-septembre, «quelque 2 000 prisonniers politiques, dont la célèbre opposante Victoire Ingabire, ont été libérés par anticipation, un geste avant le sommet de la Francophonie». C’est donc avec toutes ces appréhensions que Louise Mushikiwabo est parvenue à voler la vedette à Michaëlle Jean qui voulait un second mandat.
Le baroud d’honneur de Michaëlle Jean
Sûrement que des enjeux autres que les valeurs prônées par l’organisation ont pesé plus lourd sur la balance. La secrétaire générale sortante de la Francophonie, lors de son discours à l’ouverture du 17ème sommet de l’organisation, n’a pas manqué de faire allusion aux critiques formulées à l’endroit du Rwanda sur des questions liées à la démocratie et aux droits de l’Homme. «Disons-nous bien que l’immobilisme, l’atermoiement et les compromis sont déjà une forme de régression, car une organisation qui ruse avec les valeurs et les principes est déjà une organisation moribonde», a-t-elle dit. Mettant les chefs d’Etat devant leurs responsabilités, elle a lancé : «C’est sous votre impulsion que la Francophonie, au fil de ces quelques 50 ans, a renforcé ou élargi ses missions et s’est affirmée comme une Francophonie politique et diplomatique.» Mme Jean a même insisté sur la responsabilité des chefs d’Etat sur les textes pris au sein de cette organisation. «C’est sous votre impulsion que nous nous sommes dotés de textes normatifs et de références exigeantes sur la pratique de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone, ainsi que sur la prévention des conflits et la sécurité humaine. C’est en cela que le bilan de mon mandat, que je vous présenterai… est aussi votre bilan», a-t-elle rappelé. L’ex-secrétaire générale de l’Oif s’est interrogée sur l’avenir qu’ils voudraient pour cette organisation en faisant un clin d’œil au Rwanda. «Sommes-nous prêts à accepter que la démocratie, les droits et les libertés soient réduits à de simples mots que l’on vide de leur sens au nom de la realpolitik, de petits arrangements entre Etats ou d’intérêts particuliers ?», a-t-elle demandé. Sentant la fin de sa mission à la tête de cette organisation, Michaëlle Jean a été moins diplomate en insistant sur les valeurs de l’organisation.
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