S’il continue de célébrer les nobles sentiments et le souvenir, Adamo n’en reste pas moins un observateur aiguisé de notre époque et de lui-même. Son vingt-cinquième album, intitulé «Si vous saviez…», enregistré en compagnie d’un orchestre symphonique, est sa plus belle échappée depuis «Zanzibar» en 2003.

A un stade de sa carrière où il pourrait juste capitaliser sur un passé florissant, Adamo continue de sidérer par son activité inlassable, son immense appétit d’en découdre, la fréquence – tous les deux ans – et surtout la qualité de ses albums. Bien sûr, il y a l’homme dont on ne finira jamais assez de louer la bonté naturelle. Bien sûr, il y a les qualificatifs adhésifs qui découlent de ce constat indiscuté et indiscutable : naïf, candide, romantique, propret et lisse. Ceux qui n’ont fait que survoler le riche répertoire du chanteur belge s’y réfugient sans effort, mais le croquis est incomplet. Parce que la profonde humanité de Adamo balaie bien plus large que le spectre de la bluette inoffensive. Elle se connecte aux (mauvaises) humeurs de la marche du monde. Conscience éveillée et poésie de l’espoir plutôt que les «mots qui cognent». Le propos n’en est pas moins vain.
«Si je te chantais la chanson/­Qu’on bâillonne comme une injure/, Mais qui déferle/Comme une lame de fond/Sur les prisons des dictatures/Je préfère te chanter la chanson/De l’espoir qui se réveille/Liberté on chuchote ton nom/Dans les pays où tu sommeilles.» Mise au point bienveillante, miroir de la plume de l’artiste. Adamo s’adresse à un môme rebelle de 20 ans. Ces deux-là peuvent s’entendre au fond. La mélodie est circulaire, les chœurs haletants. Cette piste (Je te chanterai la chanson) lance le disque sur une voie à la fois moderne et classique.
Aux manettes de celui-ci, la doublette Clément Ducol/Maxime Le Guil. Elle a déjà fait ses preuves avec Christophe, Vincent Delerm ou Melody Gardot. Elle appose à nouveau sa griffe avec brio. Les chansons ne cèdent jamais aux coutures sous l’aspiration d’un orchestre symphonique. Pas de grandiloquence, mais une élégance en éventail.
Dans une sorte de jubilation espiègle, Adamo continue de jouer avec l’image qu’il renvoie (Méfie-toi, y a pas plus gentil que moi). Un piano exécute une ronde délicate (Sans toucher terre), des violons s’accrochent aux nuages d’un idéal (Un rêve). Elans nostalgiques autour de l’enfance (Ma mère disait, titre dans lequel il est allé enregistrer au smartphone la voix d’une habitante de son village natal qui avait le même accent que sa maman), des origines (Racines) et d’un temps béni (Et tant d’amour). Promesses de tendresse qui capturent, en duo avec la chan­teuse Camille, l’instant de grâce d’un instant unique (Juste un Je t’aime).
Et une chanson, formidable et aventureuse. Elle s’appelle Nu. Elle a été impulsée à la suite de la lecture L’homme nu, la dictature invisible, essai de Marc Dugain et Christophe Labbé. Adamo met ici en garde contre le formatage de l’esprit et l’invasion à tout crin des datas dans nos existences. Rythmique tribale sur un piano droit bâché d’une couverture afin d’étouffer le son et un marimba qui toupille l’espace. Imprévisible et attractive au possible. Adamo, libre de tout, y compris des étiquettes dont on l’affuble.