«La Dame», «La Voix des Arabes», «L’Astre d’Orient». Autant de surnoms donnés à la mythique Oum Kalthoum. Mais peut-on faire revivre un mythe ? C’est le pari de la société dubaïotte NDP, qui a ressuscité la diva, en hologramme, en un concert au Palais des Congrès de Paris le 9 juillet dernier. Rencontre avec le chef d’orchestre égyptien, Mostafa Fahmy, directeur artistique de ce projet. Pour beaucoup, Oum Kalthoum incarne la fu­sion avec le public durant des concerts de légende. Le fait de la faire revivre virtuellement peut sembler paradoxal…

C’est vrai, entendre la voix de Oum Kalthoum suffit à nous faire rêver et à nous transporter dans une ambiance de transe. L’hologramme et l’orchestre renforcent cet effet et apportent une dimension humaine réelle. Ce concert permet de voyager dans le temps.

Cela exprime une nostalgie ?
Bien sûr !  Surtout en France, le seul pays d’Europe où Oum Kalthoum s’est produite ! Pour beaucoup d’Arabes, revivre cela en 2022, c’est très important. On reçoit beaucoup de lettres enthousiastes, surtout de femmes, qui disent qu’elles viendront avec leurs parents ou leurs grands-parents.

Pourquoi surtout les femmes ?
C’est un symbole féministe. Oum Kalthoum a été très forte dans une époque très masculine, c’est pourquoi on l’appelait «La Dame». Elle a été présidente du Syndicat des musiciens, côtoyé des Présidents, a chanté pour son pays (notamment en versant tous les cachets de ses concerts à l’Egypte après la défaite de la Guerre des Six jours, Ndlr). Cela a contribué à en faire une idole pour les femmes.

Pourquoi la faire revivre en hologramme ?
Ses concerts étaient un moment sacré dans le monde arabe. Beaucoup ont rêvé d’y assister et n’ont jamais pu le faire. Cela permet aussi de voir le travail technique effectué pour avoir l’impression d’une chanteuse réelle en face de soi. Le visage a été reconstitué à partir de celui de Oum Kal­thoum. Pour son corps, c’est Sabreen, une actrice qui a joué son rôle dans une série à grand succès, qui a mimé sa gestuelle.

Vocalement, comment cela va-t-il se passer ?
La voix originale de Oum Kalthoum est travaillée avec des techniques de son particulières pour être synchrone avec l’hologramme et l’orchestre qui jouera en live. NDP a déjà organisé des concerts avec des hologrammes de Oum Kalthoum et de Abdel Halim Hafez.

En France, la veuve de Johnny Hallyday s’était montrée réticente à l’utilisation de l’hologramme de son époux, déplorant l’absence de jurisprudence sur l’utilisation d’hologrammes de défunts… 
Je crois que c’est lié aux intentions. La famille de Oum Kalthoum a donné son accord parce qu’il s’agit d’honorer sa mémoire et de la faire vivre. Il faut utiliser les nouvelles technologies de la bonne manière, en ne faisant revivre que des moments qui ont existé.

Dans Oum Kalthoum, l’âge d’or à Dubaï, vous dirigiez un orchestre et une chanteuse qui l’interprétait. Ici, c’est un hologramme. Qu’est-ce que ça change ?
Ce sont deux missions très différentes. En comédie musicale, c’était très proche de l’opéra. Là, je dirige les musiciens et je fais aussi le lien entre eux et la voix de Oum Kalthoum. Je travaille avec des partitions minutées, très précises pour être en harmonie avec sa voix.

Pourquoi mélanger votre orchestre «Les Cordes croisées» à la vraie voix de Oum Kalthoum ?
Les quinze musiciens des Cordes croisées viennent d’Egypte. Ce sont des spécialistes de la musique de Oum Kalthoum. Une partie du spectacle sera chantée par Sanaa Nabil, son arrière-petite-nièce. C’est un honneur symbolique d’avoir la vraie voix de l’Astre de l’Orient sur scène et celle de son arrière petite-nièce de dix-neuf ans. Elle chantera une chanson de Oum Kalthoum. Elle a une voix et un talent incroyables ! C’est une étoile montante qui a déjà un succès énorme dans les pays arabes. Cela fait quatre ans qu’elle interprète des chansons de Oum Kalthoum, c’est une école très exigeante. C’est son premier concert en France. J’aimerais que cela soit le premier pas pour la découvrir en Europe.

Est-ce qu’elle incarne la vivacité musicale de l’Orient ? 
Bien sûr, parce qu’elle a 19 ans, qu’elle chante divinement et ne va pas chanter que des chansons de Oum Kalthoum ! Mais Sanaa fait aussi le lien entre le passé et le présent. J’ai découvert la passion pour la musique arabe en France grâce à celle du public qui a toujours soif de ces musiques classiques égyptiennes. D’où l’idée de créer l’orchestre des Cordes croisées pour faire un lien entre la France et l’Egypte. Pour nous, c’est très important de jouer à Paris. Cet évènement sera musical et magique.
Rfi Musique