Du 28 au 30 mars, s’est tenue à Marseille, dans le Sud de la France, la deuxième édition de Babel Music Xp, rendez-vous des musiques du monde auquel participent de nombreux opérateurs du secteur. L’occasion de s’interroger sur les ressorts de la filière en Afrique et de découvrir en live quelques-uns des enfants du continent.

Au menu de la quarantaine de tables rondes et autres séances de speed dating organisées durant les trois jours de l’événement, les thématiques, qui ont commencé à être abordées à Marseille dans le cadre de Babel Music Xp, ont le goût du concret pour les acteurs des musiques du monde réunis pour la circonstance. Si certaines ne sont peut-être pas nouvelles, signe que les interrogations ne datent pas d’aujourd’hui, toutes ont au moins le mérite d’être actuelles et reflètent nombre de préoccupations qui traversent autant les actions que les réflexions des uns et des autres, ici et là-bas.

En dépassant le stade de l’état des lieux, toujours utile et bienvenu, quitte à ce que les incontournables partages d’expérience aient parfois valeur de tarte à la crème peu nutritive, elles donnent l’occasion de mettre les mains dans le cambouis, de regarder de près chaque mécanisme. Au cours des 90 minutes consacrées aux «dynamiques et nouveaux paradigmes des filières musicales sur le continent africain» à l’initiative de l’Institut français, le consensus entre les intervenants autour de la nécessité de structurer et professionnaliser un secteur délaissé par les politiques publiques laisse rapidement la place aux axes jugés prioritaires par chacun.

Accompagnement, le maître-mot
Directrice artistique du Yelam’s, qui accueillera en avril plusieurs concerts lors du prochain Marché des arts du spectacle africain d’Abidjan (Masa), Inès Abichou ne manque pas de souligner qu’elle est quasiment la seule à exercer ce type de fonc­tion sur l’ensemble des lieux dédiés à la musique dans la capitale économique ivoirienne.

Dans cet ancien théâtre de Treichville reconverti, mais toujours dans le domaine culturel -«tous les autres sont devenus des entrepôts ou des églises évangéliques», précise-t-elle, -et qui offre la particularité d’être une des rares salles de capacité moyenne, des artistes sont accompagnés «pour qu’ils soient prêts à tourner partout, qu’ils puissent tout coucher sur le papier techniquement». «Pour qu’il y ait une industrie [de la musique], il faudrait avoir des personnes qualifiées. Au Congo, on a plus d’artistes que d’accompagnateurs d’artistes», pointe judicieusement Christ Kisendo, assistant-manager du groupe Jupiter & Okwess, et manager du mouvement Planet Jupiter Muzik dont l’ambition à Kinshasa est «d’encadrer les jeunes artistes et leur donner une chance de gagner leur vie avec la musique». «La culture est vecteur d’économie et elle participe à l’attractivité d’un territoire», rappelle Gaëlle Massicot Bitty de l’Institut français.

Non sans réalisme, le chanteur camerounais Blick Bassy relève qu’il serait «quasi miraculeux que juste une niche comme le secteur musical fonctionne» dans des Etats dont la «structure globale» est elle-même défaillante. Toujours très actif dans son pays natal même s’il est installé en France depuis 2005, l’ex-lauréat du Prix Découvertes Rfi avec le groupe Macase insiste sur deux points : le travail sur le son, qui permet d’avoir une identité («on pense que c’est bien qu’il y ait énormément de home studios, mais on se rend compte que 95% des jeunes ne savent pas où placer des micros pour sonoriser une batterie»), le besoin d’avoir des éditeurs musicaux, «point de rencontre entre les artistes et les sociétés de gestion collective». C’est donc pour «créer un réseau de savoir-faire» que le quasi-quinquagénaire prévoit d’organiser un festival en novembre 2024 dans la station balnéaire de Kribi, au sud de Douala.

Poundo, un caractère volontaire au service de l’afro-trap
A Babel Music Xp, les artistes s’expriment aussi avec leur art, devant un public qui n’est pas composé que de professionnels. La scène est sans aucun doute l’endroit de prédilection de Poundo dont le passé de danseuse (pour Aya Nakamura, Soprano, Gims, Dadju…) et l’expérience du live servent sa prestation aussi énergique que rodée, accompagnée par deux musiciens. Difficile d’imaginer que la chanteuse rappeuse aux origines sénégalaises ne compte à son actif discographique que deux Ep dont Home paru en octobre 2023, auquel avait participé Rudy Gomis, l’un des cofondateurs de l’Orchestra Baobab, décédé fin 2022.

Sélectionnée parmi plus de 2200 candidats issus de 84 pays par un jury auquel participait, entre autres, la chanteuse tunisienne Dorsaf Hamdani, la jeune femme a compris que ces événements pouvaient servir le développement de car­rière. «On commercialise notre musique, donc pourquoi avoir un problème avec le mot «marché» ?», demande-t-elle avec pragmatisme, ajoutant qu’elle n’a pas eu l’impression de «brader son art» en postulant. Saisir ces opportunités lui a déjà offert une visibilité qu’elle mesure, en particulier sur le plan international.
Dans quelques jours, elle sera d’ailleurs au Tallinn music week en Estonie, pour y faire entendre la vision de l’afro-trap qu’elle défend, et qu’elle a peaufiné au cours des programmes d’accompagnement dont elle a bénéficié, après avoir réalisé ce qu’ils pouvaient lui apporter. La preuve concrète de l’utilité de ces dispositifs.
Rfi Musique