La rencontre entre Nathalie Vairac, la comédienne, et Ablaye Cissokho, le koriste de génie, a abouti à un album de 12 titres. «Nit», cette œuvre unique en son genre, réunit belle voix et belles notes pour une réflexion sur les grandes questions qui se posent à l’humanité.Par Mame Woury THIOUBOU –

Un ciel sans lune. Des lumières au loin et le bruit du ressac. Le décor est planté pour écouter «et entendre l’écho silencieux» de l’album Nit. A la voix, Nathalie Vairac, la comédienne, est accompagnée par les notes cristallines de la kora du virtuose, Ablaye Cissokho. Le duo a présenté, lors d’un concert ce samedi, son tout nouvel album réalisé en 2020 au Studio La Boutique et produit par Woti, la maison de production de Felwine Sarr. Dans cet univers que les deux artistes ont réussi à créer, la symbiose est parfaite entre la voix haute de Nathalie et celle plus basse de Ablaye Cissokho. Quand il donne de la chanson, tous se taisent, pris dans le charme de ces douces mélodies. C’est le prélude à un chant destiné à ceux qui voguent sur la Méditerranée. C’est le chant de ces âmes perdues dans la vaste étendue de l’océan et dont les corps parfois échoueront sur les berges de l’Europe. «L’humanité entière fera comme si cela n’existait pas», dit Nathalie Vairac. Sans même savoir quelles sont les mots que dit le chanteur mandingue, l’on se laisse saisir par cette tristesse monstrueuse qu’aurait dû éprouver l’humanité face à ce drame sans fin de l’émigration. «Leurs propres gouvernements n’y pensent même pas», constate tristement la voix de Nathalie Vairac qui transmet ces rêves enfouis sous l’eau, ces espoirs brisés et ces accomplissements qui ne se feront jamais. Dans ce registre où la musique véhicule tristesse et vague à l’âme, Talibé retentit avec justesse. «Khalife yi wakh lenn ci», chante Ablaye Cissokho pour demander l’intervention des chefs religieux. Les deux artistes invoquent le triste sort qui est réservé à ces milliers d’enfants «échoués» sur les trottoirs de Dakar sous le regard «complice» de tous. «Ils t’appellent talibé. Je t’appelle mon enfant», conclut la voix douce. L’émotion du public est à son paroxysme.

La rencontre entre la comédienne et le maître de la kora remonte à 2017 pour les 25 ans de l’Institut supérieur de management (Ism). Une rencontre prédestinée même selon l’artiste aux origines indiennes. «J’ai une mère issue de l’Inde et on parle des âmes dans ma culture. Et vraiment, pour moi, c’est comme retrouver un vieil ami que j’ai laissé quelque part et dans cette vie, je le retrouve», explique Nathalie en parlant de ses liens avec le koriste saint-louisien. «Ablaye jouait de la kora et pendant qu’il jouait, j’ai été complètement saisie et je me suis mise à danser dans un univers où je ne connaissais personne. Je n’ai pas pu résister à la kora et sa façon de jouer de la kora. Ça n’a pas échappé à Amadou Diaw qui nous a proposé de faire ensemble l’ouverture du Forum de Saint-Louis. Ça a été notre première collaboration. J’ai écrit le texte, je le lui ai lu et il a proposé une composition avec ses notes et donc là, on s’est retrouvés des mois après. Depuis cet instant-là, on ne s’est jamais quittés.»
Toute de noir vêtue, Nathalie Vairac est debout à côté du choriste qui, lui, assis, est en grand boubou blanc, chéchia rouge sur la tête. Femme de théâtre et comédienne émérite, Nathalie Vairac maîtrise son espace, distille ses gestes avec art. Sous la lumière des projecteurs, les deux artistes profitent d’une complicité de la nature. Au plus fort des déclamations, le bruit soudain d’une vague se fracassant sur les rochers, vient participer à une célébration du pouvoir éternel de la terre. Après quelques minutes de silence, comme sorti d’une transe, le public se met à applaudir et les notes joyeuses de la kora reprennent comme une nouvelle naissance. Les deux artistes partagent un univers, mais aussi les mêmes préoccupations quant au monde dans lequel nous vivons. Les douze titres de cette «œuvre hybride et unique en son genre», évoque des thématiques de son temps : racisme, identité, guerre, amour, etc. «Ablaye Cissokho n’est pas simplement mon partenaire artistique, c’est mon ami, c’est mon frère, mon cousin… Et ça facilite la direction artistique parce que tout à coup, il y a une harmonie et quelque chose d’important qui est l’écoute. On n’a pas de discussions. On ne créée que des complémentarités. Il va proposer quelque chose, il a une idée, j’ai une idée, on ne va pas dire non, pas ça. On va toujours regarder comment c’est faisable. Parce que si cette idée émerge, chez lui ou chez moi, c’est qu’elle a envie d’être là», explique Nathalie Vairac sur le processus de création. Mais l’improvisation, dit-elle, occupe une large place. Au bout de plus d’une heure de spectacle, c’est une improvisation qui vient consolider le lien et la rencontre de ces deux univers. «Nous nous sommes rencontrés à Saint-Louis il y a déjà quelques années. L’im­pro­visation, c’est l’endroit de notre lien», indique Nathalie Vairac. Dans ce moment d’improvisation où les mots volent partout et vont dans tous les sens, le dialogue entre les deux est naturel. Il s’impose. C’est toute la substance de cet album qui n’est pas un «ovni» comme le désigne Nathalie Vairac, mais quelque chose de profond qui remue l’âme et qui fait réfléchir.
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