Musique – Salon Acces à Pretoria Le continent cherche à récolter les fruits de sa révolution musicale


Le salon professionnel Acces a rassemblé en Afrique du Sud, la semaine dernière, les acteurs continentaux du monde de la musique. Organisé par la plateforme Music In Africa, l’événement leur a permis d’échanger autour du développement des musiciens africains, de leurs modèles économiques et de leurs modes de rémunération.
Dans le hall du grand amphithéâtre de l’Université de Pretoria, la foule est éclectique : un économiste de la Banque mondiale côtoie des chanteurs aux tenues travaillées et des représentants d’entreprises du monde entier qui collectent les redevances. Les soirées sont dédiées à la musique live et aux démonstrations de talents du continent, dans des clubs de la ville. Mais la journée, il s’agit de parler affaires et de décortiquer le fonctionnement de l’industrie musicale. Car ces dernières années, la musique créée à Nairobi, Abidjan, Lagos ou encore Johannes-bourg est dans les radars des acteurs du secteur. «Nous vivons une période où le monde recommence à tourner son regard vers l’Afrique, ce qui est vraiment très enthousiasmant», se réjouit Wendy Verwey Bekker, consultante sud-africaine.
«Nous avons vu des services de streaming internationaux arriver en Afrique, ainsi que des entreprises, des distributeurs, des labels et des éditeurs internationaux ouvrir des bureaux locaux», ajoute cette ancienne de la société de distribution Ditto. Et même si la taille de l’industrie est toujours modeste par rapport au reste du monde, la progression des recettes générées est indéniable : selon la dernière étude de la Fédération internationale de l’industrie phonographique (Ifpi), «les revenus de la musique enregistrée en Afrique subsaharienne se sont accrus de 22, 6% en 2024, dépassant pour la première fois les 100 millions de dollars», une forte progression par rapport aux années précédentes, notamment obtenue grâce au streaming.
Aller chercher les revenus mondiaux
Mais ce boom a parfois du mal à se traduire sur le terrain. Certes, quelques exemples de grands succès, comme la Sud-africaine Tyla ou le Nigérian Burna Boy, parviennent à tirer leur épingle du jeu, signés par de grands labels étrangers afin de conquérir le monde. Cependant, ces exceptions masquent la précarité de l’ensemble du secteur, avec une industrie locale encore trop peu structurée, et la faible rémunération de la part des plateformes de streaming, ainsi que les nombreux téléchargements illégaux qui freinent la monétisation pour les artistes et les compositeurs. «C’est magnifique de voir que, dans différentes régions du monde, les gens apprécient désormais la musique africaine. Mais il faut que cela se reflète dans nos comptes bancaires, les artistes doivent aussi en bénéficier. Et pour l’instant, ce n’est pas vraiment le cas», regrette le chanteur et producteur sud-africain Zakes Bantwini. Sa compatriote Nomcebo Zikode, avec qui il partage un Grammy Award remporté en 2023, a, par exemple, fait les frais de cette asymétrie, elle qui continue à se battre devant la Justice pour toucher ce qui lui est dû suite à la popularité virale du titre Jerusalema lors de la pandémie du Covid. Face à ces difficultés, certains artistes ont conscience qu’ils doivent s’intéresser de près à ces questions, comme s’en félicite Solange Cesarovna, chanteuse et co-fondatrice de la Société capverdienne de musique (Scm), et défenseuse des droits des musiciens : «On voit bien combien il est important pour nous, les artistes, les créateurs, de vraiment comprendre l’écosystème de l’industrie musicale et comment fonctionne le business de la musique.»
Solange Cesarovna est aussi l’un des soutiens de la plateforme Clip, qui encourage les créateurs à mieux connaître les droits de propriété intellectuelle. Et les stars émergentes, à l’image du rappeur sud-africain de 29 ans, Focalistic, savent désormais qu’il ne faut pas faire l’impasse sur ces sujets : «Si vous avez un grand catalogue, il sera très difficile de courir après l’argent, surtout à l’échelle mondiale. Il faut donc trouver un bon distributeur, qui ira réclamer l’argent auprès de chaque société en Afrique du Sud, mais aussi dans le reste du monde, afin de s’assurer que vous recevez tout ce qui vous est dû.» De plus, les labels locaux ont fleuri sur place, afin de garder la main sur les contrats, à l’instar de celui créé dès les années 2000 par Zakes Bantwini. «Nous sommes désormais dans une époque où la distribution indépendante est accessible aux artistes. Ils sortent eux-mêmes leur musique, et l’économie musicale et créative africaine croît à un rythme tellement rapide que le monde commence à s’y intéresser sérieusement», atteste Wendy Verwey Bekker.
Source d’espoir pour le continent
Ces questions sont cruciales, car les opportunités à saisir sont nombreuses pour l’Afrique, à condition qu’elle parvienne à vraiment bénéficier des retombées économi-ques. «Si l’on regarde à l’échelle mondiale, les industries créatives représentent près de 7% du Pib mondial -c’est un chiffre énorme, supérieur à celui de l’agriculture», indique Laurent Corthay, économiste de la Banque mondiale. Le potentiel est donc grand en termes de croissance et d’emploi pour le continent.
«Cependant, on manque, pour l’instant, cruellement de chiffres et de données», qui pourraient pourtant convaincre les gouvernements d’investir davantage pour soutenir le secteur, ajoute l’expert basé au Mozambique.
Et pour Wendy Verwey Bekker, il reste encore bien des pépites à découvrir pour faire progresser l’économie musicale : «L’ensemble de l’Afrique regorge de genres toujours inconnus du marché international, et c’est là que se trouve la véritable valeur», s’enthousiasme la spécialiste du secteur. «Il existe des genres aussi passionnants que l’afrobeat et l’amapiano, comme le gengetone du Kenya, ou bien toute la scène de musique électronique d’Afrique de l’Est.» Le continent n’a donc pas fini de faire danser le monde, et espère bien finir par tirer avantage de sa créativité.
Rfi

